Mondiaux d’athlétisme : et si on laissait Caster Semenya enfin tranquille ?
Mondiaux d’athlétisme : et si on laissait Caster Semenya enfin tranquille ?
Par Yann Bouchez
La Sud-Africaine, favorite de la finale du 800 m dimanche soir à Londres, subit des attaques régulières sur son physique et son niveau de performance.
Caster Semenya lors des demi-finales du 800 m, vendredi 11 août à Londres. / JEWEL SAMAD / AFP
Rien ne lui aura été épargné. Souvent, le débat s’est abaissé au-dessous de la ceinture. Quelques jours avant les Mondiaux de Londres, Caster Semenya a même cru nécessaire de devoir préciser, lors d’une interview où revenaient les sempiternelles questions qui lui collent aux pointes et les rumeurs les plus farfelues : « Je fais pipi comme une femme. » Voilà où nous en sommes. La Sud-Africaine, favorite de la finale du 800 m, dimanche soir, a bien du mérite d’arriver à se concentrer sur la compétition.
Précisons d’emblée que l’accueil réservé par le public du stade olympique, à Stratford, dans l’est de la capitale britannique, a été plutôt chaleureux, cette semaine. Les spectateurs, sûrement déçus que la Sud-Africaine ait soufflé, pour quelques centièmes de seconde, la médaille de bronze du 1 500 m à la Britannique Laura Muir, l’ont tout de même applaudi sur le podium. Fair-play.
Malheureusement, d’autres attitudes ont pu être observées depuis le début des Mondiaux. En tribune de presse, nous avons entendu un confrère s’écrier, avant la série du double tour de piste où courait Semenya : « Le 800 m hommes ! » Sur Twitter, les remarques désobligeantes sur son physique et les insinuations fielleuses ont émaillé ses apparitions à la télévision. « Et les types qui courent avec les femmes, on en parle ? », nous a interpellé un internaute, visiblement pas mécontent de sa blague.
« Équité sportive »
Il serait peut-être temps de laisser Caster Semenya tranquille. Depuis plusieurs années et son apparition tonitruante aux Mondiaux de Berlin, en 2009, la coureuse est régulièrement présentée comme un danger pour l’athlétisme. Voilà qui paraît bien exagéré.
De quoi parlons-nous, au juste ? Caster Semenya produit plus de testostérone que la normale chez les femmes. Cela ne relève en rien d’une tricherie : la production d’hormones mâles en grande quantité est naturelle chez elle : Semenya est atteinte d’hyperandrogénie. D’autres athlètes qui courent le 800 m le sont aussi. Mais la championne olympique de Rio aimante la lumière médiatique et les soupçons parfois nauséabonds.
Pour la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), l’hyperandrogénie semble un problème majeur, si l’on en croit l’énergie et le temps que certains de ses officiels ont dépensé afin d’imposer une réglementation contraignante. Une poignée d’athlètes trop "testostéronées" menaceraient « l’équité sportive ». Voilà le principal argument avancé par les pontes de l’instance pour mettre en place des règles contraignantes. Prière de ne pas rire : l’IAAF, gangrenée ces dernières années par des scandales de corruption et de dopage d’une ampleur inédite, estime manifestement que l’athlétisme serait en danger à cause de quelques femmes trop dominatrices sur 800 m.
La Fédération d’athlétisme a d’abord voulu réglementer les taux de testostérone à respecter pour les compétitions féminines. Selon les experts de l’IAAF, cette hormone, du groupe des androgènes, est l’un des principaux facteurs de la performance. En s’appuyant sur un règlement mis en place en 2011, l’IAAF a incité plusieurs athlètes à suivre des traitements hormonaux et/ou des opérations chirurgicales pour faire baisser leur taux naturellement élevé de testostérone. Plutôt qu’une incitation, il vaudrait mieux parler de chantage : ou ces athlètes se pliaient aux taux fixés, ou elles n’avaient plus le droit de concourir.
Prédispositions naturelles
Mais une sprinteuse indienne, Dutee Chand, s’y est opposée. Et le Tribunal arbitral du sport a estimé que l’IAAF ne démontrait pas suffisamment l’importance du rôle de la testostérone dans les écarts de performance. Le règlement a été suspendu. L’affaire est encore en cours. Sebastian Coe, le président de la Fédération internationale, ne semble pas vouloir céder. L’IAAF a fait appel aux meilleurs avocats et à l’ex-marathonienne Paula Radcliffe pour défendre sa position. Ironique lorsque l’on sait que la Britannique, avec son record du monde qui tient toujours (2 h 15 min 25 s) a écrasé plus que quiconque sa discipline.
L’« équité sportive » évoquée par ceux que dérange la domination de Semenya apparaît par ailleurs comme un mythe. Car le sport de très haut niveau, et la compétition, se sont toujours fondés sur les inégalités entre athlètes. Les prédispositions naturelles jouent un rôle essentiel dans la performance, cela n’a rien de nouveau. Pourquoi seulement vouloir s’intéresser au niveau de testostérone ?, avancent non sans raison, les défenseurs de Semenya. A-t-on jamais pensé interdire à un joueur de pratiquer le basket en raison de sa trop grande taille ? Et s’est-on jamais posé la question du niveau de testostérone chez les hommes ? Non.
Caster Semenya réconforte la Britannique Linsey Sharp, vendredi 11 août, lors des demi-finales du 800 m à Londres. / GLYN KIRK / AFP
Une incitation au dopage ?
Autre argument avancé par ceux que dérange Caster Semenya : sa présence et ses niveaux de performance seraient une incitation au dopage pour les autres femmes. Mais, de toute évidence, les athlètes n’ont pas attendu l’arrivée de la Sud-Africaine pour succomber aux produits illicites. Et les coureuses de 800 m ont d’ailleurs souvent préféré l’EPO aux prises de testostérone.
À ceux qui regrettent la domination de Caster Semenya sur la distance, on leur rappellera qu’elle n’a toujours pas battu, loin de là, le record de la Tchèque Jarmila Kratochvila, vieux de 34 ans et aux forts relents de dopage. Si la Sud-Africaine domine actuellement le double tour de piste, pourquoi cela poserait-il plus de problème que les règnes quasi absolus du Polonais Pawel Fajdek au lancer de marteau ou de la Russe Mariya Lasitskene à la hauteur, sans parler de la domination de Bolt, pendant presque dix ans, sur le sprint mondial ?
Rappelons enfin qu’il y a cinq ans, Mariya Savinova était sacré championne olympique du 800 m aux Jeux de Londres, devant Caster Semenya. La Russe avait pris l’habitude de se moquer des épaules carrées de son adversaire, de sa poitrine plate. « Regardez là », glissait-elle devant les journalistes, tout en sous-entendus. Aujourd’hui, Savinova, confondue pour dopage aux hormones de croissance, a dû rendre sa médaille d’or. Semenya l’a récupérée. Jusqu’à preuve du contraire, elle la méritait bien plus, n’en déplaise à ses détracteurs.