Fellini-Berlusconi, le choc des titans
Fellini-Berlusconi, le choc des titans
M le magazine du Monde
« Ginger et Fred », réalisé par le cinéaste italien dans les années 1980 et dont la version restaurée est en salle, est un féroce pamphlet contre la télévision du Cavaliere.
Marcello Mastroianni et Giulietta Masina dans le film de Federico Fellini, « Ginger et Fred ». / TF1 STUDIO/FR3 FILMS PRODUCTIONS/PRODUZIONI EUROPE ASSOCIATE STELLA FILM 1986
Son nom n’est jamais prononcé, et pourtant Silvio Berlusconi est partout dans Ginger et Fred, de Federico Fellini. En 1985, quand le réalisateur de La Dolce Vita tourne son avant-avant-dernier film, celui qui n’est pas encore homme politique est déjà à la tête d’un empire médiatique. Il détient, entre autres, les chaînes de télévision Canale 5, Italia 1 et Rete 4. Les émissions qu’il diffuse affligent le monde de la culture italienne, les intellectuels s’insurgent dans des tribunes devant la médiocrité ambiante.
C’est cette situation orwelienne que Federico Fellini filme en mettant en scène Giulietta Masina et Marcello Mastroianni dans la peau d’anciens danseurs aux noms inspirés par Ginger Rogers et Fred Astaire. Trente ans après leur retraite, ils se réunissent une nouvelle fois pour une émission de télévision. Ils peinent à danser, mais le petit écran les rend populaires à nouveau. Au cours du programme télévisé, un nom revient souvent, celui du « Cavalier Fulvio Lombardoni », une référence directe au Cavaliere, surnom de Berlusconi depuis la fin des années 1970. A la sortie du film, Le Monde écrit : « Combattant le mal par le mal, splendide justicier masochiste, Fellini répond à la corruption de l’image par l’image de la corruption, et d’une anecdote déprimante fait un opéra inspiré. »
Contre les spots publicitaires pendant les films
Mais, pendant le tournage, Federico Fellini ne regarde pas de loin la nullité de la télévision berlusconienne. Il est au cœur d’un combat. Alors qu’il écrit (avec Tonino Guerra) et tourne Ginger et Fred, le cinéaste est en pleine bataille juridique. Il tente alors de faire interdire l’interruption de ses films par des spots de publicité quand ils sont diffusés sur les chaînes du milliardaire. Fellini perd, mais continue d’intenter des procès au cours des mois suivants.
S’ensuit une longue polémique, où Fellini est rejoint par des confrères (dont Sergio Leone) autour de nombreuses pétitions et tribunes, contre les coupures publicitaires à l’écran. Fellini demandera qu’un référendum soit organisé en Italie, il parlera de « massacre des films » et ira jusqu’à dire, en 1987 au magazine Europeo : « Berlusconi devrait être invité à expliquer devant un juge au nom de quoi il se permet de toucher au travail des autres. »
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Au final, la loi italienne modérera le nombre de publicités possibles à la télévision. Mais depuis, le cinéma transalpin n’a plus retrouvé la force qui l’animait dans l’après-guerre, et dont Fellini, avec Ginger et Fred, filmait la disparition.
« Ginger et Fred », de Federico Fellini, 2 h. Version restaurée, en salle.