Au Maroc, les contestataires d’Al-Hoceima suspendus au discours du roi
Au Maroc, les contestataires d’Al-Hoceima suspendus au discours du roi
Par Charlotte Bozonnet
La crise de confiance entre les habitants et les autorités s’est aggravée après le décès d’un jeune manifestant. Mohammed VI doit s’exprimer le 20 août.
Où se trouve Mohammed VI ? Ces derniers jours, plusieurs médias le donnaient présent à Al-Hoceima, où le souverain marocain a l’habitude de séjourner une partie de l’été ; d’autres sur la plage de Saïdia, plus à l’est, de passage avant de regagner la localité de M’diq, près de Tétouan. Si sa présence est scrutée avec autant d’intérêt, c’est que le roi doit prononcer, dimanche 20 août, un discours très attendu sur fond de contestation persistante dans la région du Rif. « Après celui de la fête du Trône fin juillet, ce discours va donner de nouvelles indications sur les intentions du pouvoir », souligne un journaliste marocain.
Depuis dix mois, les autorités marocaines sont confrontées à un vaste mouvement de contestation sociale dans la région d’Al-Hoceima (nord). Né après la mort d’un jeune vendeur de poisson, Mouhcine Fikri, en octobre 2016 – broyé dans une benne à ordures alors qu’il essayait d’empêcher la destruction de sa marchandise saisie par la police –, le mouvement s’est étendu à des revendications économiques et sociales auquel le pouvoir a tenté de répondre par un mélange de promesses et de répression, sans grand succès.
Mécontentement royal
Fin juillet, le roi a surpris en prononçant un discours très dur, qualifié d’« offensif » par certains, d’« inquiétant » par d’autres. Si le nom d’Al-Hoceima n’était prononcé qu’une seule fois, toute l’intervention royale était dirigée vers les événements du Rif. Le souverain, autorité suprême du pays, y fustigeait la classe politique marocaine et l’administration, les rendant entièrement responsables de la crise.
Commençant par rappeler avoir pour « seul objectif [de] servir le citoyen, là où il vit dans notre pays, sans distinction entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, ni entre citadins et ruraux », le souverain pointait rapidement un « paradoxe irrécusable » vécu par le Maroc entre sa crédibilité régionale et internationale d’un côté, et le bilan négatif de certains secteurs sociaux de l’autre.
En cause, selon lui : le « faible niveau du travail en commun » et « l’absence de visions nationale et stratégique », en particulier dans le secteur public. « Les fonctionnaires publics, pour la plupart d’entre eux, manquent de compétences et d’ambition et n’ont pas toujours des motivations liées au sens des responsabilités, liées à leur mission », déclarait-il.
Le roi pointait aussi du doigt les partis et les responsables politiques qui se contentent « d’engranger les bénéfices politiques et médiatiques » en cas de bilan positif et de se retrancher derrière le Palais quand celui-ci est négatif. « Face à cet état de fait, le citoyen est en droit de se demander : à quoi servent les institutions en place, la tenue des élections, la désignation du gouvernement et des ministres ? » Mohammed VI saluait par contre les forces de sécurité, qui « ont assumé leur responsabilité avec courage, patience, retenue », balayant ainsi les critiques sur la répression et l’approche uniquement sécuritaire du dossier.
Une semaine plus tard, Ilyas El Omari, président de la région Tanger-Tétouan-Al-Hoceima et secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM, fondé par un proche du Palais), annonçait sa démission. Malgré les dénégations du principal intéressé, son départ a été interprété comme une première conséquence du mécontentement royal.
« Actes humiliants »
L’intervention du 20 août continuera-t-elle dans la même veine ? D’autres têtes vont-elles tomber ? Une nouvelle grâce royale sera-t-elle annoncée, après celle du 29 juillet qui a permis la libération de 40 détenus du « hirak » (mouvance), dont la jeune chanteuse Silya Ziani, une figure du mouvement ? Le discours de Mohammed VI intervient en tout cas dans un contexte plus tendu que celui de la fin juillet, avec l’annonce, le 8 août, de la mort d’Imad Attabi, 25 ans.
Touché à la tête par un projectile lors d’une manifestation à Al-Hoceima le 20 juillet, il a succombé à ses blessures dans un hôpital de Rabat après trois semaines de coma, devenant ainsi le premier manifestant tué depuis le début du mouvement. Les protestataires affirment qu’Imad Attabi a été tué par une grenade lacrymogène tirée par les forces de sécurité. Les autorités, de leur côté, ne se prononcent pas. Le procureur a indiqué qu’une enquête était en cours pour « élucider les circonstances de cet incident, déterminer les responsabilités ».
Son décès a ravivé la crise de confiance entre les habitants de la région et les autorités, déjà au cœur de la crise du Rif, dont l’histoire est émaillée d’épisodes de rébellion et de répression avec l’Etat central. Après la mort de Mouhcine Fikri, les cortèges avaient ainsi vite débordé le cadre de la demande de justice pour s’étendre à des revendications régionales : pour l’emploi, la santé et l’éducation. La répression du mouvement à partir du mois de mai l’a fait redoubler de vigueur. L’enterrement d’Imad Attabi, le 9 août, au cimetière d’Al-Hoceima, s’est déroulé sous haute tension.
L’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) a accusé le ministère de l’intérieur d’être responsable du drame. L’organisation a rédigé un rapport sur les événements du 20 juillet à partir de témoignages locaux. Selon elle, les forces de l’ordre « ont arrêté d’une manière aléatoire et arbitraire un grand nombre de personnes suspectées de vouloir participer à la marche ». Selon le rapport, « des détenus ont subi des actes humiliants et un mauvais traitement ». L’AMDH dénonce aussi plusieurs condamnations, dont celle du journaliste Hamid Al-Mahdaoui, condamné le 25 juillet à trois mois de prison ferme.
Selon l’avocat Rachid Belaali, coordinateur de la défense des prisonniers du « hirak », depuis le début de la répression, le 26 mai, plus de 300 personnes ont été arrêtées : sur ce nombre, 47 sont toujours détenues à la prison d’Oukacha, à Casablanca – notamment le leader du mouvement, Nasser Zefzafi –, 62 au tribunal d’appel d’Al-Hoceima et 111 au tribunal de première instance. A Al-Hoceima, le discours royal porte l’espoir de nouvelles libérations.