A Ouagadougou, la mairie veut développer des centres-villes secondaires
A Ouagadougou, la mairie veut développer des centres-villes secondaires
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)
L’Afrique en villes (20). Trois quartiers périphériques de la capitale burkinabée doivent être dotés de nouvelles infrastructures. En attendant, les habitants galèrent.
« Regardez un peu l’état de la route… Est-ce qu’on peut emprunter cette voie chaque matin et avoir de bons résultats au travail ? Vraiment, ce n’est pas simple. Et encore il ne pleut pas ! » La rue 21.67, à Ouagadougou, joue avec les nerfs de Boukary Tondé.
Chaque matin, c’est la même histoire. Slalomer entre les trous pour ne pas y planter sa moto, coller sa main devant sa bouche pour ne pas avaler trop de poussière, et attendre. Que le balai incessant de motos et de voitures s’arrête ou que la pluie, trop abondante pour qu’on puisse encore distinguer la voie du bord du caniveau, cesse de tomber.
« Pourquoi n’avance-t-il pas ? C’est d’un petit trou comme ça qu’il a peur ? », peste-t-il en désignant le nid-de-poule, profond d’une trentaine de centimètres, qu’une voiture n’ose pas franchir. Sur le bord de la voie rouge, une mécanicienne se lève et donne des conseils au conducteur. « Il faut passer à gauche, puis à droite », dit-elle machinalement. Au loin, un camion approche. « Il va bloquer la circulation, comme d’habitude. »
Un goudron, un vrai
La rue 21.67 fait à peine quatre mètres de large. C’est pourtant la seule voie permettant aux habitants de la périphérie de Tampouy, un quartier du nord-ouest de Ouagadougou, de rejoindre la RN2 afin d’accéder au centre-ville de la capitale burkinabée.
« Quand on nous a dit qu’ils allaient construire un goudron, on n’y a pas cru. Nous sommes vraiment pressés de le voir », s’exclame Boukary Tondé. Ironie du sort, le jeune homme est responsable de la voirie à la mairie de Tampouy. « Je suis chargé des routes et je n’ai même pas de goudron devant chez moi », plaisante-il. L’agent communal s’est détendu. Il vient de s’engager sur une route bitumée, une vraie. Lisse, avec des marquages au sol, une voie pour les motos, des ralentisseurs et des panneaux de signalisation.
Cette route a été construite l’an dernier dans le cadre du Projet de développement durable de Ouagadougou (PDDO). Lancé cette année et financé à hauteur de 53 milliards de francs CFA (81 millions d’euros) par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), le PDDO 2 permettra de poursuivre l’aménagement des treize kilomètres de voiries amorcé lors de la première phase. Les quelque 300 000 habitants de Tampouy, le quartier le plus peuplé de Ouagadougou, devraient donc être mieux reliés au centre-ville.
Désengorger le centre-ville
Une nécessité pour ce quartier périphérique qui, comme ceux de Katre Yaar et de Grand Est, manque cruellement d’infrastructures. Pour palier les déficits, la mairie de Ouagadougou, qui pilote le PDDO 2, a sélectionné ces trois zones pour abriter des centres-villes secondaires, mieux équipés. Un moyen, aussi, de désengorger le centre-ville historique de la capitale.
« L’offre de soins est insuffisante. Quand mon enfant est malade, je vais dans un des deux CSPS [centres de santé et de promotion sociale] de Tampouy, mais le médecin ne vient qu’une à deux fois par semaine, se plaint Fidèle Kaboré, un habitant du quartier. Maintenant, je vais un peu plus loin, au centre médical Paul-VI, où il y a tout le temps un médecin, mais la consultation coûte 5 000 francs CFA [7,60 euros], contre 200 francs CFA au CSPS. Ce n’est pas à la portée de tout le monde ! » L’an prochain, les deux CSPS de Tampouy vont entrer en travaux pour que l’accès aux soins soit amélioré, comme dans les quartiers de Katre Yaar et de Grand Est.
Mais pour Fidèle Kaboré, le problème n’est pas seulement sanitaire. « Un jour, je me souviens que j’ai pris le bulletin de notes de ma fille, qui était en classe de sixième. J’ai vu l’effectif de sa classe : 120 élèves. Vous imaginez ? Ils sont assis dans une salle trop petite, où il fait trop chaud, à quatre sur une table. Personne ne peut suivre un cours dans ces conditions » Pour ne pas sacrifier la scolarité de sa fille Angela, il lui a offert des cours particuliers en mathématiques et en français. Aujourd’hui, Angela est en classe de quatrième dans un des deux lycées municipaux de Tampouy.
La croix et la bannière
A quelques kilomètres de là, Sarah Tiendrebeogo traîne devant chez elle avec une amie. Les cours sont terminés. Les deux jeunes filles viennent de passer le baccalauréat. « On attend les résultats », disent-elles d’une même voix stressée. Sarah, elle, n’a pas eu la chance d’Angela. Seuls les meilleurs élèves obtiennent une place dans les lycées proches de leur domicile. Chaque matin, trente minutes de bouchons attendent la jeune fille avant d’atteindre son lycée, situé au centre-ville de Ouagadougou.
« J’arrive souvent en retard et parfois l’école est fermée. Je suis obligée d’attendre le cours d’après avant de pouvoir entrer », regrette-t-elle. Sa classe de terminale ne compte que 48 élèves. A l’instar du sien, les lycées du centre-ville sont moins bondés que ceux de la périphérie. Mais pour les atteindre, c’est la croix et la bannière. Aussi la mairie de Ouagadougou a-t-elle annoncé la création de 110 salles de classe dans les trois quartiers ciblés par le PDDO 2.
Au total, une trentaine d’équipements publics vont être réalisés. Le début des travaux est prévu pour l’an prochain. En attendant, Angela, Sarah, Fidèle et Boukary vont devoir prendre leur mal en patience. Et continuer d’emprunter les voies rouges foutraques du quartier pour pouvoir aller chez le médecin, à l’école ou au travail.
Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »
Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.