Le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov a été arrêté
Le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov a été arrêté
Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Le Comité d’enquête, chargé de toutes les affaires sensibles en Russie, a inculpé mardi l’artiste pour fraude « massive ». L’intéressé clame son innocence.
Le metteur en scène Kirill Serebrennikov à Moscou, le 27 juin 2017. / DAMIR YUSUPOV/AP
Le metteur en scène Kirill Serebrennikov a été interpellé dans la nuit du lundi 21 au mardi 22 août, alors qu’il se trouvait à Saint-Pétersbourg pour le tournage de son prochain film – consacré à Viktor Tsoï, une star défunte du rock soviétique – avant d’être transféré à Moscou. Une nouvelle étape. Depuis plusieurs mois, le directeur artistique du Centre Gogol, théâtre contemporain bien connu à Moscou, est la cible de déboires qui suscitent l’émoi dans le milieu artistique russe et au-delà.
En mai, Kirill Serebrennikov, 47 ans, avait fait l’objet de perquisitions dans le cadre d’une enquête pour détournement de subventions budgétaires. En juillet, le ballet Noureev qu’il avait mis en scène a été brutalement déprogrammé par le célèbre Bolchoï au motif inavoué de « propagande homosexuelle ». Son passeport lui a été retiré. Désormais, le Comité d’enquête, le bras judiciaire du Kremlin qui a fait état de son arrestation mardi matin, l’a ccuse de fraude « massive » et précise que l’infraction relève de l’article 159-4 du code pénal. Selon ce dernier, Kirill Serebrennikov encourt donc jusqu’à dix ans de prison. Jusqu’ici, il n’avait été entendu qu’en qualité de simple témoin.
« Une injustice monstrueuse »
Mardi, face aux enquêteurs qui l’ont inculpé avant de le présenter devant un tribunal pour déterminer son sort – placement en détention provisoire ou assignation à résidence –, il a rejeté toutes les accusations à son encontre.
Ouvertes en mai, les investigations menées portent sur 68 millions de roubles (environ 1 million d’euros) de subventions budgétaires que le metteur en scène aurait détournées pour la mise en œuvre, par sa troupe de théâtre, 7e studio, du projet « Plateforme ». L’ex-chef comptable, Nina Masliaïeva, et le producteur Alexeï Malobrodski, avaient été alors placés en détention provisoire et l’ancien directeur de 7e studio, Youri Itine, en résidence surveillée. « Une injustice monstrueuse, avait réagi Kirill Serebrennikov. Mais nous sommes calmes. Nous sommes prêts à répondre à toutes les questions et nous n’avons rien à cacher. »
Le spectacle en cause avait bien été réalisé. Mais en juillet, cependant, un tribunal de Moscou a avancé le nom de Serebrennikov comme celui d’un « possible complice » après avoir rendu publiques les auditions de l’ex-chef comptable qui aurait témoigné d’un « plan de détournement de fonds de 68 millions d’euros ».
Mardi, l’une des premières réactions est venue d’Alexei Koudrine, vice-président du Conseil économique auprès de Vladimir Poutine. « L’arrestation du metteur en scène est une mesure exagérée, a-t-il réagi sur son compte Twitter. Surtout après les paroles du président au sujet des arrestations excessives d’entrepreneurs. »
Le Centre Gogol, dirigé par Kirill Serebrennikov, à Moscou, le 22 août 2017. / MAXIM ZMEYEV/AFP
Consternation du milieu artistique
Comme à chaque épisode, depuis mai, la consternation s’est emparée du milieu artistique qui dénonce un harcèlement politique. « Encore une fois, nos services de sécurité ne connaissent pas la marche arrière… », a réagi, sur la radio Echo de Moscou, le cinéaste Pavel Lounguine en déplorant une « cruauté excessive et vindicative ». Plusieurs n’ont pas hésité à établir un parallèle avec l’arrestation du dramaturge Vsevolod Meyerhold, en 1939 à Leningrad (Saint-Pétersbourg aujourd’hui). « Appelons les choses par leur nom, a fustigé sur son compte Facebook l’écrivain russe Boris Akounine, exilé en France depuis 2014. Le metteur en scène Meyerhold avait été arrêté non par le NKVD mais par Staline et le metteur en scène Serebrennikov non par le Comité d’enquête mais par Poutine. »
« Je ne suis pas avocat et ne connais pas les pièces du dossier mais je connais très bien Kirill Serebrennikov », a commenté pour sa part Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, où le Russe avait présenté en 2015 et 2016 deux spectacles, Les Idiots et Les Âmes mortes. « Il est un véritable opposant au régime de Vladimir Poutine et un défenseur des droits homosexuels, a ajouté Olivier Py, cité par l’Agence France-Presse. Je connais sa probité, je n’ai aucun doute sur son innocence. » En mai, ce dernier, mais aussi l’actrice Isabelle Huppert et d’autres personnalités comme Didier Deschamps, directeur du Théâtre de Chaillot ou David Bobée, directeur du Centre dramatique national de Normandie, avaient déjà publiquement apporté leur soutien à Kirill Serebrennikov, l’une des figures les plus connues de la scène russe à l’étranger.
En 2015, son film Trahison avait été nommé au Grand Prix du jury de la Mostra de Venise, puis il avait remporté, l’année suivante, le Prix spécial du jury pour Le Disciple, une adaptation de sa propre pièce produite au Centre Gogol. Ouvert en 2012, à la place d’un ancien théâtre, ce centre s’est imposé depuis comme une scène contemporaine dynamique où des collectifs résidents sont accueillis.