Dieux et héros, des muses éternelles
Dieux et héros, des muses éternelles
Par Christophe Averty
Un parfum d’Arcadie flotte sur le monde de la création. Des arts plastiques à la scène, des productions audiovisuelles à l’édition, la mythologie opère un retour en force.
« Remnants of Apollo », de Damien Hirst (photo : Prudence Cuming Associates, 2017). / DAMIEN HIRST AND SCIENCE LTD. ALL RIGHTS RESERVED, DACS/SIAE 2017
Les mythes ont de l’endurance. Leur persistance pourrait ne concerner qu’une poignée d’hellénistes ou de latinistes nostalgiques. Il n’en est rien. Telle l’odyssée d’Ulysse, mythes, dieux et héros embrassent toutes les contrées, toutes les époques, y compris la nôtre. Discrètement mais sûrement, ils innervent l’art de notre histoire. S’ils sont fréquemment sollicités dans l’art lyrique et colorent parfois la création chorégraphique, on les attend moins dans le champ de l’art contemporain.
L’actuelle Biennale de Venise en est un contre-exemple. De cette 57e édition, intitulée « Viva arte viva », émergent références et allusions à l’Antiquité, détournements et inventions de thèmes mythologiques. Ainsi, le controversé Damien Hirst y présente un mystérieux bateau, vieux de 2000 ans, chargé de trésors. Treasure from the Wreck of the Unbelievable serait la légendaire propriété de Cif Amotan II, sorte de nouveau comte de Monte-Cristo, ancien esclave devenu prospère collectionneur. S’immisçant dans les productions des 120 artistes réunis à Venise, vestiges égyptiens, grecs et romains, cités disparues habitent poétiquement les œuvres du Britannique Jason deCaires Taylor.
Damien Hirst: Treasures from the Wreck of the Unbelievable
De même, le mythe des origines et la science-fiction se conjuguent dans celles du Letton Mikelis Fisers. Comme si, pour rêver et se réinventer une éternité, l’art d’aujourd’hui avait besoin de convoquer un passé imaginaire ? « Les mythes nous pressent de toutes parts, ils servent à tout », écrivait Balzac.
Plus qu’une source d’inspiration, les récits des Anciens restent, pour certains auteurs et metteurs en scène actuels, la matière vivante et nourrissante du théâtre des passions et de la condition humaine. Puissant guide dans le dédale des temps, la tragédie est un fil d’Ariane que Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline, saisit et dévide à l’envi. Héros de chair, voix des sept tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues, Ajax, Médée, Œdipe, Phèdre… vibrent et résonnent dans le cycle que le dramaturge contemporain réécrit, explore, augmente. Dans la poursuite affirmée et sensible des textes antiques, s’ouvre un espace, celui du théâtre, aux sources lointaines, qui dépasse la mythologie et l’imaginaire pour toucher l’essence et peut-être l’âme humaine. Le temps long de l’histoire se concentre tout entier dans celui, éphémère, de la vie.
Ressort assumé de l’érotisme
Autre passeur de mythe et de sens, l’universitaire Claude Aziza délivre une approche fort différente mais tout aussi révélatrice, fondée sur l’image de la mythologie et le désir, voire les fantasmes, qu’elle suscite depuis le XIXe siècle, dans toutes les formes, littéraires et artistiques. Son Guide de l’Antiquité imaginaire, paru aux éditions Les Belles Lettres (2016), explore du cinéma de Georges Mélies aux péplums hollywoodiens, du western – version américanisée de la tragédie – aux bandes dessinées Alix de Jacques Martin (Casterman), un terreau fertile que les arts dits mineurs n’ont cessé de revisiter, de compiler, d’adapter. Plus d’un millier de titres de romans, de films et de BD, recensés et commentés, révèlent une approche transversale et ludique des « filons » de la mythologie, dont l’érotisme est un ressort assumé.
Enfin, dans une démarche aussi esthétique qu’encyclopédique, un ouvrage s’érige en référence. Tel un « livre des livres » immense et généreux, l’anthologie Ecrire la mythologie d’Homère à Marguerite Yourcenar, conçue par la spécialiste Emmanuelle Hénin, parue aux éditions Citadelles et Mazenod (2016), unit quelque 200 textes de la littérature à 400 représentations majeures des mythes dans la peinture occidentale.
Hésiode, Homère, Gide ou Camus retrouvent Jordaens, Redon, Clouet, ou Rothko. Et Goya comme Rubens représentent Saturne dévorant un de ses enfants dans un dialogue hors du temps. Transversal lui aussi, ce regard porté sur le mythe procure une riche traversée, à la manière d’une découverte constante et infinie qui fond art d’écrire et art de peindre dans un même élan de la Renaissance à l’âge classique et des romantiques aux modernes.
Alors le mythe serait-il un cheval de Troie ? Transfert de nos désirs, théâtre de nos passions, horizon à toujours dépasser, il est partout chez lui, dans toutes les formes de création, rappelant sans cesse que la réalité ne peut se passer du rêve.
Mais plus encore, par sa force, toujours vive, modelant la culture et l’histoire jusqu’à la nature des hommes, la mythologie contient, de toute éternité, l’ensemble des préoccupations humaines, qu’elle nous livre comme une clé universelle à toujours conquérir. Elle nous dit tout de nous, nous faisant hisser les yeux plus haut vers une galaxie dont les étoiles portent le nom des dieux et des héros des temps qu’on dit anciens.