Les visages des personnages ne seront pas, a priori, les points forts de « Shenmue III ». / Deep Silver

En juin 2015, lors d’une conférence dont les joueurs se souviennent encore, Sony dévoilait sa feuille de route pour les mois et années à venir. Parmi les annonces fracassantes ce moment-là, l’une retient particulièrement l’attention : celle de la résurrection de la licence Shenmue, dont les fans étaient sans nouvelles depuis 2001. Deux jeux de rôle sortis sur la console Dreamcast, qui avaient acquis un statut d’objet culte malgré leur relatif échec commercial, lié en partie à l’échec de la Dreamcast.

Deux années ont passé depuis cette annonce et les fans n’ont pas eu, depuis, grand-chose à se mettre sous la dent. La bande-annonce dévoilée lundi 21 août, en marge de la Gamescom, le salon du jeu vidéo de Cologne, avait donc la lourde charge de les rassurer.

Shenmue III – The 1st Teaser | PS4

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a peiné à convaincre. En cause ? Un « teaser » chiche en information et au montage assez peu engageant, sans dialogue ni élément de narration, ne mettant en scène qu’une poignée de personnages et de décors souvent déjà connus.

Des images qui ont provoqué une multitude de moqueries, pour un jeu dont la campagne de financement participatif avait permis au studio Ys Net de collecter 6 millions de dollars auprès des joueurs : la bande-annonce présentée semble, pour une partie des joueurs, loin des attentes.

Plus particulièrement visées, les animations faciales des personnages, il est vrai assez peu expressifs. Certains les comparent à des acteurs de série B…

… ou moquent l’air interloqué de l’adversaire de Ryo, le héros du jeu.

D’autres observateurs et soutiens du projet ne rient plus, suspectant le développement de Shenmue III de prendre la direction d’un accident industriel. Son éditeur lui-même a effectivement reconnu, au début de l’été, qu’il était nécessaire de repousser sa date de sortie initiale (décembre 2017) au second semestre 2018.

Davantage qu’un jeu vidéo

Pourtant, si dans les heures qui ont suivi sa diffusion, la bande-annonce de Shenmue III a été la risée de la frange la plus amusée et cynique du Net, certains continuent à y croire malgré les difficultés et les retards.

Après tout, sur YouTube, la vidéo a tout de même recueilli près de 80 % de « pouces bleus », soit autant de spectateurs satisfaits, sinon enthousiastes.

Les « pouces bleus » YouTube sous la bande-annonce de « Shenmue III ». / Youtube

« Le climat de méfiance des joueurs des derniers mois ne m’étonne pas, analyse Fab sur Twitter. Le public du jeu vidéo est connu pour rêver grand et incendier si le résultat est en dessous des attentes. » Conscients de la médiocrité des animations faciales de la bande-annonce, les fans n’en sont pas moins persuadés que celle-ci n’est pas représentative de l’état dans lequel sortira le jeu.

« Je suis heureux de voir le projet avancer, et honnêtement s’ils n’ont pas eu le temps pour de l’animation faciale pour un trailer marketing, ce n’est pas grave », tempère Melagone Djinn, un fan interrogé par Pixels. « C’est moche, reconnaît de son côté Très bon bœuf saté, mais j’y crois encore, surtout pour l’univers. » « Là où vous ne voyez que des expressions faciales inexistantes, je vois de nouveaux maîtres, une nouvelle quête vers le but ultime de Ryo », résume Segashenmue.

Résolution de l’intrigue

Parce qu’en vérité, ce qu’attendent les adeptes de Shenmue ce n’est pas une claque graphique ni même un jeu très moderne, mais c’est surtout la résolution d’une histoire laissée en suspens il y a quinze ans.

Chinigga Rônin, qui veut croire que le jeu « ne ressemblera jamais à ça une fois fini » explique ainsi que tout ce qui l’importe, c’est que « cette histoire ait une fin ». Pour les joueurs comme lui, Shenmue III c’est davantage que la suite d’une série de jeux vidéo : c’est un supplément d’enfance ou d’adolescence.

Shenmue n’a pas fait que contribuer à redéfinir, entre 1999 et 2001, les règles de l’interaction, du combat et du monde ouvert dans le jeu vidéo : il est aussi l’irruption du quotidien, de la réalité, dans un loisir souvent si fantaisiste.

C’est sa réalité et sa crédibilité en même temps que son exotisme (les années 1980 au Japon et à Hongkong) qui l’ont enraciné aussi profondément dans l’imaginaire de ses joueurs. Le quotidien de Ryo a été, même brièvement, le leur. Et donc, un peu de leur vie.

Pour certains, cette bande-annonce de « Shenmue III » serait moins belle que les jeux originaux, parus entre 1999 et 2001. / Deep Silver

Réalisme contre magie

« Que la série s’arrête en plein milieu du chemin fut une sorte de traumatisme, se souvient El Dindon No-Name. Après seize ans d’attente, plus qu’un bon jeu, j’attends une suite, une conclusion à cette histoire qui semblait prendre une direction totalement nouvelle à la fin de Shenmue II, en passant d’un côté ultraréaliste à quelque chose emprunt de magie. (…) Que le jeu soit bon, au final, ce n’est même pas le plus important pour moi. De toute façon, quand on a mis deux cents euros dans la campagne Kickstarter du jeu, c’est que dès le départ on est au-dessus de tout ça. »

Car, si chez certains joueurs l’annonce dès 2015 d’un financement partiel via Kickstarter a été une immédiate et irrémédiable douche froide (« l’amateurisme de leur campagne et de leur communication en général n’aide pas trop à y croire », insiste même Oyabun, déçu de la première heure), pour beaucoup, le lien monétaire est venu renforcer le lien affectif.

C’est le cas de Neofire, qui explique ainsi à Pixels avoir financé le jeu « comme on donne de l’argent à un ami en galère ». Sans regret ni attente particulière, il est « juste content » de voir que le projet avance malgré tout.