Avec plus de 36 000 étudiants, les Marocains forment la première communauté d’étudiants étrangers en France, devant les Chinois. Les dysfonctionnements du système universitaire marocain étant multiples, les étudiants du royaume sont nombreux à faire de gros sacrifices pour partir faire leurs études en France.

Mais les choses changent peu à peu : depuis quelques années, c’est la France qui vient à eux. En dix ans, une demi-douzaine de grandes écoles de commerce et d’ingénieurs se sont ainsi implantées à Casablanca et à Rabat : l’Ecole centrale, l’EM Lyon, l’Essec ou encore l’université Paris-Dauphine. Une initiative largement encouragée par l’Etat marocain, qui veut y former les talents de demain.

« Au Maroc, le tampon français est encore un gage de sérieux dans le monde de l’entreprise. Un diplômé d’une école française gagne forcément plus dans le secteur privé, où les grilles de salaires sont adaptées », indique Youssef Ben El Mostapha, directeur de l’EIGSI Casablanca, une école d’ingénieurs créée en 2006 par l’EIGSI La Rochelle. « Malheureusement, nous avons un sérieux problème de ressources humaines au Maroc, poursuit-il. Je passe mon temps à recevoir des CV criblés de fautes, à voir des jeunes diplômés sous-qualifiés. Nous avons des écoles de bonne qualité, mais il en faut plus. »

Pour les deux pays, l’arrivée des écoles françaises est une opération « gagnant-gagnant ». En mettant un pied en Afrique, les établissements français élargissent leur offre de formation sur le continent et contribuent à leur rayonnement à l’international. Au Maroc, où la capacité d’accueil dans les universités est à saturation, l’enjeu est crucial. En 2005, le royaume s’est engagé dans un vaste plan d’accélération industrielle, le plan Emergence, dont l’un des objectifs était de former 15 000 ingénieurs marocains en dix ans.

Des frais de scolarité plus élevés qu’à Paris

« Le Maroc a un potentiel industriel énorme. Les secteurs de l’énergie, de l’automobile et de l’aéronautique sont en plein boom. Pour faire avancer la machine, il faut plus d’ingénieurs », indique Serge Delle-Vedove, directeur adjoint de l’Ecole centrale Casablanca, qui a ouvert ses portes en 2015. En septembre, la très sélective institution accueillera ses 210 étudiants sur un campus flambant neuf de cinq hectares au cœur de la forêt de Bouskoura, en périphérie de la métropole. « On espère accueillir 200 élèves par promotion d’ici cinq ans », précise le directeur adjoint.

Derrière ce projet coûteux se cache l’Etat marocain, qui a financé l’école à hauteur de 80 %, soit 150 millions de dirhams (environ 13,2 millions d’euros). « C’est le Maroc qui a fait appel à nous il y a dix ans, rappelle M. Delle-Vedove. Les ingénieurs marocains ne sont pas formés pour développer le marché au Maroc et en Afrique. Le royaume a besoin d’ingénieurs entrepreneurs, et ça, c’est typiquement le profil centralien. »

Fruit d’un partenariat signé en 2013 entre Mohammed VI et François Hollande, Centrale Casablanca dispose du statut d’école publique reconnue par l’Etat marocain, sous tutelle du ministère de l’industrie. Avec des critères d’admission et un programme identiques à Centrale Paris, l’antenne de Casablanca délivre un diplôme d’État marocain qui sera ensuite homologué par l’Etat français.

Malgré des frais de scolarité plus élevés qu’à Paris – près de 5 000 euros l’année contre 3 500 euros en France –, Centrale Casablanca se targue d’être un ascenseur social dans un pays où l’accès à l’enseignement reste un problème majeur. Grâce aux subventions de l’Etat marocain, 80 % des élèves bénéficient d’exonérations partielles ou totales. « Généralement, les étudiants marocains qui ont des ressources partent faire leurs études en France ou aux Etats-Unis, observe M. Delle-Vedove. Notre objectif est de proposer des études prestigieuses sur le continent à des prix abordables. »

C’est ainsi qu’Ahmed, en deuxième année à Centrale Casablanca, a pu financer ses études. « Je ne paye que 10 % des frais de scolarité car je viens d’une famille très modeste. Au Maroc, la majorité des élèves issus d’un milieu défavorisé, même les plus brillants, n’ont pas la chance d’avoir une bonne formation supérieure », explique l’étudiant de 22 ans.

Le nouveau campus de l’Ecole centrale Casablanca ouvrira ses portes en septembre 2017 en périphérie de la métropole. / Ghalia Kadiri

Attirer les étudiants subsahariens

Mais le Maroc voit plus loin. En ouvrant ses portes aux grands établissements français, le royaume veut attirer les étudiants subsahariens et se positionner comme un hub pour la formation universitaire en Afrique. Plus proche et plus accessible que le France, le pays offre un contexte éducatif et culturel qui facilite l’intégration des étudiants africains.

« Je voulais étudier la mécatronique. Le Maroc était est un entre-deux parfait pour faire de bonnes études sans trop m’éloigner de mon pays, le Burkina Faso », raconte Alex, en deuxième année à l’EIGSI Casablanca, où un tiers de la promotion est d’origine subsaharienne. A 21 ans, l’étudiant originaire de Ouagadougou pense déjà à chercher un travail au Maroc une fois ses études terminées. « Je veux travailler dans l’aéronautique, un secteur en pleine croissance. Ici, je suis sûr de trouver du travail », assure Alex.

La formation des futurs cadres supérieurs africains est stratégique pour le « soft power » marocain en Afrique, où le royaume a renforcé sa politique de développement et multiplié les partenariats économiques. En juillet, l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI) a annoncé une augmentation du nombre de bourses accordées aux étudiants subsahariens, avec l’objectif affiché « d’accompagner les dynamiques lancées par le roi Mohammed VI en Afrique ».

« Notre ambition est de faire venir des élèves brillantissimes de partout en Afrique, quel que soit leur niveau social. Nous avons par exemple un étudiant qui vient d’un petit village en pleine brousse sénégalaise et qui est fulgurant en termes de capacité technique », affirme Serge Delle-Vedove, de Centrale Casablanca. Dans les prochaines promotions, les élèves subsahariens pourraient représenter le tiers des effectifs.

Difficultés d’expression en français

En nouant des partenariats avec les entreprises et les banques marocaines bien implantées sur le continent, les grandes écoles de commerce françaises veulent elles aussi séduire les étudiants africains. « Nous savons que le marché émergent de demain, c’est l’Afrique », déclare Tawhid Chtioui, directeur de l’EMLyon Casablanca, dont le campus baptisé « EMLyon Business School Africa » a ouvert en 2015. « Pour maîtriser les spécificités de ce marché, il faut être sur place, poursuit-il. C’est pourquoi nous encourageons nos étudiants à faire des stages dans des entreprises présentes en Afrique. »

Reste un problème majeur, celui du niveau de langue. Au Maroc, le cursus scolaire dans le système public se fait entièrement en arabe. Une fois à l’université, où l’enseignement passe brusquement au français, les élèves éprouvent des difficultés d’expression. « Nous avons quelques élèves qui ne parlent pas français en arrivant », reconnaît le directeur adjoint de Centrale Casablanca, où les étudiants peuvent suivre des cours de rattrapage trois fois par semaine. « C’était très difficile au début, surtout en physique », témoigne Ahmed, qui a obtenu son baccalauréat scientifique dans un lycée public de Marrakech : « Heureusement que les classes préparatoires sont enseignées en français, ça permet de s’habituer pendant deux ans, même si ce n’est pas suffisant. »

La question du recrutement des professeurs est elle aussi sensible. A Centrale Casablanca, tous les enseignants sont des vacataires, faute d’avoir trouvé des professeurs permanents locaux qui répondent au niveau de la formation.