Levothyrox : les malades de la thyroïde dénoncent des « effets secondaires épouvantables »
Levothyrox : les malades de la thyroïde dénoncent des « effets secondaires épouvantables »
Par Cécile Bouanchaud
De nombreux patients déplorent la nouvelle formule du médicament du laboratoire Merck et réclament un retour de l’ancienne composition du Levothyrox.
Comme à l’accoutumée depuis treize ans, Anne-Sophie s’est rendue à la pharmacie pour renouveler sa boîte de Levothyrox, un médicament indispensable pour traiter ses problèmes de thyroïde. Nous sommes à la fin du mois de mars. Le laboratoire Merck vient de commercialiser la nouvelle formule de son médicament et profite de l’occasion pour en changer le packaging. Anne-Sophie, comme d’autres malades, n’y voit qu’un détail « anodin ». D’autant que son pharmacien lui assure qu’il s’agit d’un changement « purement cosmétique ». « Il m’a précisé qu’il n’y avait aucune modification dans la fabrication du médicament », se souvient la jeune femme de 36 ans, qui présente des nodules au niveau de la thyroïde.
S’installe pourtant « une fatigue sans fin », lancinante, et qui dure depuis des mois. Sans compter les autres symptômes : douleurs musculaires, gênes intestinales, problèmes de peau, perte de cheveux, irritabilité… A l’instar d’Anne-Sophie, les centaines d’internautes prenant ce médicament et qui ont répondu à notre appel à témoignages ont d’abord imputé ces troubles à des revirements dans leur vie quotidienne : un déménagement pour l’un, l’arrivée d’un enfant pour l’autre, ou encore un rythme soutenu au travail.
Aucun ne pense au Levothyrox, ce médicament qu’ils prennent depuis de nombreuses années pour corriger une insuffisance de sécrétion de la glande thyroïde ou son absence. Ou encore pour freiner la sécrétion de la TSH, une hormone qui stimule la thyroïde. Il faudra attendre « les premiers articles dans la presse » pour « faire le lien ».
Des êtres amoindris
De nombreux malades décrivent la « colère », qui s’ajoute au « coup de massue », eux qui ont mis de nombreux mois à trouver le bon dosage pour leur traitement. En fonction de chaque malade, les dosages de ce médicament varient, afin de réguler au mieux le taux de TSH, et donc de permettre à la glande thyroïde de faire son travail sur le système hormonal. Il s’agit en effet d’un médicament à « marge thérapeutique étroite », c’est-à-dire qu’il est souvent difficile de trouver le bon dosage, rapporte l’association Vivre sans thyroïde. « En hypothyroïdie depuis 1992, j’ai rencontré pendant des années des difficultés énormes pour trouver le bon dosage de Levothyrox », se souvient Brigitte, 65 ans.
« Nous avons mis un temps inconsidéré pour être stabilisé ; et huit jours pour repartir à la case départ ! »
La case départ ? Comprendre un retour aux débuts de la prise du traitement, où il fallait réajuster les dosages, et vivre avec les effets secondaires que cela implique. La glande thyroïde sécrète des hormones indispensables au bon fonctionnement de tout l’organisme, impactant notamment le poids et le moral.
Pour ceux qui souffrent d’hypothyroïdie, c’est l’ensemble de l’organisme qui est bouleversé, même sous traitement, car la molécule du Levothyrox peut provoquer des symptômes handicapants. L’association Vivre sans thyroïde avait mené une enquête en 2015 auprès de 1 142 patients qui souffrent de pathologies thyroïdiennes, qui montrait que la qualité de vie des malades sous traitement restait moins bonne que celle de la population générale. « Sans thyroïde, nous sommes des êtres amoindris », lance Jacqueline, qui prend du Levothyrox depuis une trentaine d’années, à l’instar de trois millions de personnes, dont environ 80 % de femmes.
Effets secondaires « épouvantables »
Pour les internautes que nous avons interrogés, ce changement de formule – qui ne concerne pas le principe actif, mais porte sur des substances appelées « excipients » qui lui sont associées, comme ici le lactose qui a été remplacé par le mannitol – a le goût amer des débuts de maladie sans traitement. Tous décrivent d’une même voix des « effets secondaires épouvantables ». En première ligne : « une fatigue assommante », « une impression de vieillissement subite », « le sentiment d’être devenu un véritable légume ».
Laëtitia, 36 ans, décrit une « fatigue soudaine et brutale rendant le moindre effort insurmontable ». Pour Laurence, 55 ans, ces « coups de pompe intenses » se couplent à des problèmes de sommeil, « des insomnies » l’empêchant de « dormir plus d’une heure d’affilée ». Difficile dans ce contexte de s’imaginer « reprendre le travail dans quelques jours ». Un sentiment d’épuisement qui occasionne chez tous des « lacunes de concentration », « une forte irritabilité », « des émotions exacerbées », voire « des pertes de mémoire ». Hélène, 59 ans, confie, elle, « une baisse de la libido ».
A l’unisson, les internautes évoquent un « corps douloureux », traversé par de « violentes crampes musculaires ». Un corps qui « lâche et s’épuise », comme celui d’Elisa, 58 ans :
« Quand je me lève, je suis ankylosée, comme si je venais de faire les 100 km de Millau. j’éprouve une difficulté à monter et descendre les escaliers. Même mes os me semblent douloureux. Une simple sortie, de quelques pas, devient l’ascension du Mont Blanc. »
D’aucun rapportent également des « problèmes de peau », comme des poussées d’eczéma, de fortes démangeaisons, de l’acné rosacée ou encore des « énormes hématomes ». Michel, lui, ne « supporte plus aucune source de chaleur » :
« Je ne peux plus ouvrir mon four sans que ma peau ne me brûle. M’exposer au soleil quelques minutes, me promener sans chapeau, m’est devenu impossible, parce que mon crâne chauffe ! »
A ces symptômes s’ajoutent généralement une prise ou une perte de poids conséquente, des vertiges et des troubles intestinaux.
Alternative radicale
Une question revient comme un leitmotiv : « Combien de temps vont durer ces effets secondaires avant que la situation se stabilise ? » Les internautes qui ont répondu à notre appel à témoignages ont pour la plupart consulté leur médecin qui leur a prescrit des analyses sanguines. Certains attendent encore les résultats. D’autres se sont vu confirmer une variation de leur taux de TSH.
Une autre partie des malades ont d’ores et déjà tenté de trouver des alternatives à leur traitement, comme Marie, 46 ans, enseignante, qui compte se rendre en Allemagne « pour trouver un traitement équivalent à la formule antérieure du Levothyrox ». Elisa, elle, a pris une décision radicale, contre-indiquée par le laboratoire : « J’ai tout stoppé. »
Le laboratoire allemand Merck, qui assure que « pour la très grande majorité des patients, la transition entre l’ancienne et la nouvelle formule s’est bien effectuée », relève que « les symptômes rapportés sont identiques à ceux de l’ancienne formule ».
Répondant à la demande de nombreux patients, le laboratoire précise qu’il n’y aura pas de retour à l’ancienne formule, contrairement à ce que réclame une pétition lancée par une patiente à la fin du mois de juin, et qui a recueilli à ce jour plus de 160 000 signatures. Saisie sur le sujet par l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT), l’Agence nationale de sécurité nationale du médicament (ANSM) a mis en place un numéro vert mercredi 23 août (0 800 97 16 53).
« Est-ce que le laboratoire pharmaceutique pourra me rendre tout ce temps perdu à être malade, comme droguée, déprimée, à ne pas pouvoir vivre ma vie correctement ? », s’interroge Laetitia, qui appelle le laboratoire à « prendre ses responsabilités » pour que les malades ne vivent plus dans cet « état de santé intenable ». Laurence, 51 ans, considère qu’en changeant cette formule sans prévenir les patients, le laboratoire « joue avec notre santé en toute impunité ».