Une femme surfe sur le réseau social chinois Weibo, à Pékin, en 2012. / MARK RALSTON / AFP

Le risque d’être débordé par Internet, un potentiel espace de libre expression – et donc de critique du régime – est une obsession du gouvernement chinois. Dans les rédactions des journaux, à la radio ou sur les chaînes de télévision, la censure veille en amont. Mais en ligne, le lieu du participatif où rumeurs et informations bien réelles mais malvenues se répandent comme une traînée de poudre, le risque est bien plus élevé.

Pour le contrôler, Pékin met les moyens. Il y a la « grande muraille » du Web, qui bloque les sites étrangers dans le collimateur du régime – la BBC, le New York Times, et même Le Monde. Il y a aussi la censure interne aux sites chinois, qui font du zèle pour ne pas s’attirer les foudres de l’Etat. Ils repèrent par filtrage informatique les termes et images sensibles, et peaufinent ensuite, grâce à de petites mains chargées d’effacer ce qui aurait échappé aux automates.

Ces mesures ont déjà une certaine efficacité, mais la menace n’est jamais éteinte. D’où le rêve de savoir précisément qui a dit quoi. Et, pour ce faire, les velléités d’imposer l’enregistrement des internautes sous leur identité réelle. A compter du 1er octobre, a annoncé l’Administration du cyberespace de Chine, toutes les communautés en ligne devront enregistrer l’identité de leurs usagers pour promouvoir un Internet « sain et ordonné ».

Directive secrète

Cette fois sera-t-elle la bonne ? La République populaire nourrit ce projet de longue date. Dès 2003, elle a tenté de rendre la présentation d’une pièce d’identité obligatoire pour accéder aux cybercafés. Puis, en 2006, alors qu’elle ne comptait encore que 137 millions d’internautes, est annoncée l’ambition d’imposer l’identité réelle sur les forums. Mais rien ne bougera concrètement durant au moins trois ans.

C’est au cours de l’été 2009 que les portails d’information populaires à l’époque, Netease, Sohu ou Sina, commencent à mettre en place une directive secrète qu’ils viennent de recevoir des autorités. Toutefois, sur certains sites, il suffit à l’époque d’entrer un faux nom et dix-huit chiffres d’un faux numéro d’identité pour contourner cette nouvelle exigence. C’est à cette même époque, au lendemain d’émeutes sanglantes dans la région ouïgoure du Xinjiang, que Facebook, Twitter et Youtube deviennent inaccessibles.

Le développement exponentiel des réseaux sociaux va renforcer les craintes du pouvoir et, dès 2012, est annoncée l’obligation de s’enregistrer sous son identité réelle sur Sina Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. Mais cette mesure n’est mise en place par le groupe Sina que très progressivement. Quant à WeChat, l’application qui émerge alors et va rapidement devenir le réseau incontournable des Chinois, elle commence en 2013 à exiger l’enregistrement sous nom réel.

« L’idée est de responsabiliser l’internaute, de faire pression pour qu’il s’autocensure. Mais les différentes plateformes ont un peu traîné des pieds, par crainte que ceux qui sont réticents à décliner leur identité abandonnent leurs comptes, explique Séverine Arsène, chercheuse au Centre d’études français sur la Chine contemporaine à Hongkong. Il y a une divergence d’intérêts entre le gouvernement chinois et ces sociétés privées qui font leur beurre sur le nombre d’usagers et la vivacité des échanges. »

« Chaos des identifiants »

A chaque fois, ces nouvelles règles se heurtent aux moyens de les contourner. Certains sites utilisent ainsi la vérification par numéro de téléphone : ils sont tous en théorie désormais associés à une identité réelle, mais dans les faits encore cent millions de cartes SIM n’étaient pas enregistrées en 2016, selon un rapport officiel.

Ces poches d’anonymat persistantes agacent vivement le pouvoir. D’autant que Xi Jinping, à la tête du Parti communiste chinois (PCC) depuis l’automne 2012, a repris en main la société civile et muselé ses critiques. En février 2015, dans un article sur le « chaos des identifiants » publié par l’agence China News Service, un officiel de l’administration du cyberespace s’inquiétait des comptes non identifiés qui « polluent l’écosystème d’Internet, nuisent aux intérêts des masses et enfreignent sérieusement les valeurs fondamentales du socialisme ».

Le 1er juin est entrée en vigueur une loi drastique sur la cybersécurité. A l’approche du XIXe Congrès du PCC, à l’automne, à l’issue duquel M. Xi se succédera à lui-même, les autorités se montrent particulièrement intransigeantes. Elles ne peuvent pourtant se permettre de bloquer les sites et applications les plus populaires, au risque de se mettre l’opinion publique à dos. « Le système n’est pas parfaitement hermétique, mais permet de s’assurer que la contestation soit marginalisée et du point de vue du gouvernement chinois, c’est ce qui compte », estime Mme Arsène.