Opération humanitaire pour lutter contre la famine en Somalie en 1992. / ERIC FEFERBERG/AFP

Il y a un débat qui va dans tous les sens. Les gens parlent de l’Afrique avec beaucoup de verbe. Des émotions qui se conjuguent au pluriel. Ça se développe admirablement et, parfois, avec des approximations. Tout le monde veut avoir raison. Ce n’est pas possible autrement. Il y a le camp des gens qui disent qu’il existe plusieurs Afrique et le camp des autres qui disent qu’il n’y en a qu’une. Le sujet qui remonte le plus, c’est celui du patriotisme africain.

Il y a un monsieur qui se dispute avec un autre. « C’est à cause des gens comme vous que l’Afrique n’avance pas. » Réponse : « C’est ton problème là-bas. » Le monsieur continue : « C’est bien, tu es comme ces gens qui vivent chez les Blancs et votent pour le Front national [FN], hein ? Pauvres de nous, Africains ! »

Nouvelle charge : « Au premier tour de l’élection présidentielle, le FN était en tête au Sénégal. Tu ne vas quand même pas me dire que les Français du Sénégal ne sont que des Blancs. » Le monsieur : « Arrête de me parler parce que, là, tu racontes des conneries. Seules quatre cents personnes ont voté FN et tu appelles ça être en tête ? » L’interlocuteur : « Toi aussi arrête de me parler parce que, là, tu vas m’énerver. Déjà, que je ne vote même pas dans ce pays… »

Et voilà que s’est ouvert le sujet de la démocratie et de l’identité. Il y a quelqu’un qui a dit : « Je suis africain avant d’être guinéen. » Un autre : « Laissez-moi avec vos conneries ! Je suis moi, camerounais d’abord. » Il y a quelqu’un qui a dit que les Camerounais sont atteints du syndrome de Stockholm. Plus précisément : « Même s’il y a des élections transparentes au Cameroun, le vieux Biya va toujours gagner. Vous êtes amoureux de votre geôlier. » Ils me demandent où est-ce que je me situe dans leurs causeries. Ils insistent. Je dis que je suis d’abord l’enfant de ma mère, avant d’être aussi celui de mon père, après l’enfant de ma famille, de mon royaume, du pays bamiléké avant d’être celui de mon pays d’origine, le Cameroun, de mon pays d’accueil la France, et citoyen du monde. On me dit que je suis hors sujet. Irrité, je me tais et j’observe.

« Tu n’es pas africain ! »

Il y a un certain Onana qui se dispute sur l’Afrique avec Jean-Luc. Il est clair qu’ils n’ont pas du tout la même vision de l’Afrique ni pour l’Afrique. Jean-Luc : « Il faut qu’il y ait davantage d’actions humanitaires vers l’Afrique. » Onana : « Non, je ne suis pas d’accord. Il faut que cela cesse. Ces machins humanitaires salissent le nom de l’Afrique. » Il continue : « Il faut laisser aux Africains le choix de construire leur avenir. » Jean-Luc rétorque : « Je suis d’accord avec le fait qu’il faudrait qu’on nous laisse le choix de construire notre avenir, mais cela ne doit pas damer le fait que le continent a besoin d’humanitaire à l’heure actuelle pour s’en sortir. » Exacerbé, Onana lui dit : « Nous ? Nous quoi ? Tu n’es pas africain ! » Ces quelques mots ont du mal à être digérés par Jean-Luc. Il est en colère : « Tu sais quoi de moi ? Qui es-tu pour m’interdire d’être africain. » Les deux protagonistes sont au bord d’en finir avec les mains, dans ce pays où les gens se disent civilisés…

Il y a d’un côté Onana qui dit : « Je suis africain et fier de l’être. » Et de l’autre, il y a Jean-Luc… qui dit aussi la même chose ! C’est là que je me pose la question de savoir ce que veut dire être africain. Qui décide de qui est africain et de qui ne l’est pas ? C’est quoi être africain ? Ça sert à quoi de l’être ou de ne pas l’être. Et pourquoi en être fier ?

Il se dit qu’Onana est né à Yaoundé, capitale de la République du Cameroun. Qu’il a vécu dans cette ville. Qu’il n’est allé à Douala, capitale économique du pays, qu’une ou deux fois dans sa vie. Et que c’est à l’âge de 20 ans qu’il s’est envolé pour la France, où il vit depuis une quinzaine d’années. Ce qui veut dire qu’il ne connaît du Cameroun que Yaoundé et Douala.

Il se dit que Jean-Luc est né à Paris, en France. Et lorsqu’il eut quelques mois, sa famille s’est installée à Pointe-Noire, capitale économique de la République du Congo, pour le travail. Et du coup, il a sillonné le pays au gré des affectations de son père, il n’est rentré en France qu’à l’âge de 20 ans. Il dit souvent, en parlant de son enfance africaine : « Dans ma classe, il y avait plein d’enfants noirs. J’étais le seul Blanc et je me souviens qu’au début les autres venaient tirer ma peau pour voir si le blanc s’enlèverait… »

Michel Tagne Foko est chroniqueur, écrivain, éditeur d’origine camerounaise, membre de la Société des auteurs du Poitou-Charentes. Dernier ouvrage paru : De l’autre côté de l’Atlantique, éditions du Mérite (2015).