Le président ougandais, Yoweri Museveni, lors de l’inauguration de l’affinerie d’or AGR à Entebbe, le 20 février 2017. / Gaël Grilhot

La nouvelle a stupéfié les milieux économiques ougandais. En 2016, la valeur des exportations d’or a bondi, pour se hisser à la deuxième place, juste derrière celles de café. En un an à peine, le secteur est ainsi passé de 1,3 % à 11,6 % des exportations. La raison : l’installation à Entebbe de l’African Gold Refinery (AGR), l’une des plus importantes affineries d’or d’Afrique subsaharienne, qui draine désormais une bonne partie du précieux minerai, jusque-là géré essentiellement par des réseaux informels. De quoi concurrencer les principaux pays producteurs d’or de la région, comme la République démocratique du Congo (RDC) ou le Rwanda.

L’Ouganda extrait de l’or depuis près d’un siècle. L’activité est surtout le fait de dizaines de milliers de mineurs artisanaux, mais, depuis quelques années, avec le retour à la stabilité politique, les compagnies recommencent à s’intéresser au pays. D’autant que des études géologiques récentes ont montré un très fort potentiel aurifère. Paul Sherwen, secrétaire général de la Chambre des mines et du pétrole en Ouganda, estime que le sous-sol du pays renferme des « millions d’onces d’or, avec dans certaines régions une très bonne teneur, de l’ordre de 25 à 30 grammes par tonne ». Plusieurs compagnies ont déjà investi pour explorer davantage certaines zones prometteuses.

« Exporter 10 tonnes d’or en 2017 »

C’est dans ce contexte qu’a été officiellement inaugurée, en février, l’AGR, en présence du président Yoweri Museveni. Mais l’affinerie, société de droit ougandais présidée par le Belge Alain Goetz (fils de Tony Goetz, le patron de Tony Goetz and Sons, une entreprise de transformation et de commerce de métaux précieux de la place d’Anvers) est déjà en activité depuis plus de dix-huit mois, avec un effectif de 80 salariés et un budget initial de 20 millions de dollars (16,7 millions d’euros).

Si, selon M. Goetz, les perspectives de production en Ouganda – « entre 200 kilos et 4 tonnes par an » – sont intéressantes, elles ne couvrent pas les besoins en volume de l’affinerie. « Pour 2017, nous comptons exporter pour 400 millions de dollars, ce qui correspond à environ 10 tonnes d’or, expliquait M. Goetz, quelque temps après l’inauguration. Nous prenons donc de l’or de sociétés congolaises, tanzaniennes, et nous travaillons même avec une mine du Zimbabwe. »

C’est là que le bât blesse, estime le nouveau rapport de l’ONG Global Witness sur la production d’or dans la région des Grands Lacs, publié le 30 août. « Avec des frontières régionales poreuses et une faible réglementation nationale, affirment les auteurs de ce document, la présence de ce type d’infrastructure est susceptible (…) d’attirer l’or provenant de sources douteuses en Ouganda et dans les pays limitrophes. »

« Devoir de diligence »

Selon l’ONG britannique, spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles, les progrès de l’Ouganda en matière de transparence sont encore perfectibles. Sept ans après avoir signé la déclaration de Lusaka sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, le pays n’a toujours pas adopté de loi dans ce domaine, regrette Global Witness, et l’exercice du « devoir de diligence », qui consiste entre autres à veiller à ne pas inclure dans la chaîne d’approvisionnement de l’or provenant de zones en conflit, est encore trop peu respecté. « Bien que l’AGR soit en activité depuis 2015, la firme n’a pas encore publié de rapport sur le devoir de diligence démontrant les mesures qu’elle a prises pour identifier et atténuer les risques », observent les auteurs du rapport. Dans sa réponse, l’entreprise affirme que ses « procédures rigoureuses en matière de devoir de diligence réduisent tout risque » et qu’elle est « en mesure de filtrer [ses] clients et de rejeter tout or inopportun ».

L’ONG s’alarme aussi de l’abandon des taxes et royalties sur l’or promises par Yoweri Museveni lors de l’inauguration de l’AGR. Pour Global Witness, une telle politique risque de « réduire au minimum les contributions versées dans les caisses de l’Etat et de saper les opportunités que pourrait offrir l’affinerie ». De son côté, M. Sherwen applaudit cette promesse d’exonération : « Cela peut inciter les tradeurs qui exerçaient jusque-là sur les circuits parallèles à vendre leur or à l’affinerie et augmenter ainsi le volume d’or à traiter. »

Irene Muloni, ministre du développement de l’énergie et des minéraux, préfère aussi voir les côtés positifs de l’opération. Selon elle, l’implantation de l’AGR va « permettre de contribuer à améliorer la balance commerciale ». Au-delà de la création d’emplois directs, la ministre voit des retombées se profiler dans la joaillerie, dans l’hôtellerie et même dans l’aérien.