Silhouettes sexy : le Conseil d’Etat donne raison à la mairie de Dannemarie
Silhouettes sexy : le Conseil d’Etat donne raison à la mairie de Dannemarie
Par Jean-Baptiste Jacquin
La haute juridiction a annulé la décision du juge de Strasbourg ordonnant à la ville de retirer les panneaux représentant des « stéréotypes dévalorisants pour les femmes ».
La municipalité de Dannemarie a installé dans les rues principales de la ville des silhouettes de femmes aux postures explicites, qui avaient déclenché la colère des associations féministes. / Vincent Voegtlin / PHOTOPQR/L'ALSACE/MAXPPP
C’est un virage à 180 degrés que le Conseil d’Etat opère par rapport au tribunal administratif de Strasbourg, qui avait ordonné le 9 août à la commune de Dannemarie (Haut-Rhin) de retirer de l’espace public 125 panneaux, dont des silhouettes « sexy » de femmes. « Le Conseil d’Etat a reconnu notre bonne foi », a réagi Paul Mumbach, le maire alsacien, qui avait refusé de comprendre la polémique suscitée par les images stéréotypées de femmes que renvoyait cette exposition décidée dans le cadre d’une « année de la femme » dans cette commune de près de 2 300 habitants.
Saisi par l’association féministe Les Effronté-e-s, le juge des référés en première instance a dit que la mairie avait méconnu la loi de 2014 sur l’égalité réelle, qui demande aux collectivités territoriales de mener une politique destinée à lutter contre les stéréotypes sexistes. Il en avait conclu que la manifestation de Dannemarie portait « une atteinte grave et manifestement illégale au principe d’égalité entre les hommes et les femmes ».
Le Conseil d’Etat estime au contraire, dans son ordonnance du vendredi 1er septembre, qu’un tel grief, le non-respect du principe d’égalité, ne justifie pas l’intervention du juge des référés, qui ne peut être saisi que lorsqu’il est porté atteinte à une liberté fondamentale. La haute juridiction administrative reconnaît que certaines discriminations « eu égard aux motifs qui les inspirent et aux effets qu’elles produisent » peuvent constituer une atteinte aux libertés fondamentales nécessitant l’intervention en urgence du juge. Mais, écrit Pascale Fombeur, qui a présidé la formation collégiale de référé, « la méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature ».
Le fait que la mairie, au cours de l’année, ait organisé d’autres manifestations en faveur des femmes et, par exemple, baptisé l’une de ses rues du nom de la féministe Monique Wittig, une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes (MLF), a joué. L’installation des panneaux litigieux « n’a pas été inspirée par des motifs traduisant la volonté de discriminer (…) et n’a pas pour effet de restreindre une ou plusieurs libertés fondamentales », affirme l’ordonnance.
Pas d’atteinte à la dignité
La décision du tribunal administratif de Strasbourg était une tentative d’innovation jurisprudentielle alors que le Conseil d’Etat n’avait encore jamais reconnu l’égalité comme étant, « en soi », une liberté fondamentale. « Le Conseil d’Etat préfère protéger le champ de la procédure de référé, plutôt que de protéger les femmes des violences qu’elles subissent », réagit, dépitée, Lorraine Questiaux, l’avocate des Effronté-e-s.
Les conseillers d’Etat vont plus loin encore dans leur décision, en abordant la question de fond, celle de l’atteinte à la dignité humaine, retenue dans la procédure des référés. Tout en reconnaissant que « les panneaux incriminés peuvent être perçus par certains comme véhiculant, pris dans leur ensemble, des stéréotypes dévalorisants pour les femmes (…), ou pour quelques-uns d’entre eux, comme témoignant d’un goût douteux voire comme présentant un caractère suggestif inutilement provocateur », le Conseil d’Etat conclut qu’il n’y a pas d’atteinte grave au droit au respect de la dignité humaine.
L’avocate des Effronté-e-s prévoit de déposer dans les prochains jours un recours au fond, la voie du référé étant fermée. Le maire de Dannemarie affirme de son côté songer à ne pas réexposer les quatre ou cinq silhouettes pour lesquelles il avait finalement reconnu à l’audience au Palais Royal, le 30 août, qu’elles « pouvaient prêter à discussion ».