Editorial du « Monde ». Il faut reconnaître au mouvement de Jean-Luc Mélenchon un indéniable sens de l’à-propos et de la communication. Lors de son université d’été à Marseille, le 26 août, La France insoumise a organisé une conférence intitulée « Faut-il “dégager” les médias ? ». Avec l’assurance de déclencher la polémique, c’était l’occasion de dresser le procès d’une presse prisonnière de la « pensée unique », auxiliaire cynique ou complaisante de l’« oligarchie néolibérale » et minée par sa consanguinité avec les puissances économiques ou politiques. Bref, incapable de rendre compte de la vraie vie du peuple et du pays.

Or, comme par un fait exprès, dans les jours suivants, le président de la République nommait un journaliste, Bruno Roger-Petit, porte-parole de l’Elysée. Et toute une brochette de responsables politiques plus ou moins désœuvrés – de Jean-Pierre Raffarin à Julien Dray, d’Henri Guaino à Aurélie Filippetti, sans oublier, comble d’ironie, la porte-parole de La France insoumise, Raquel Garrido – était embauchée par des télévisions ou des radios pour commenter l’actualité.

35 000 journalistes en France

Difficile de rêver plus belle justification du réquisitoire contre le supposé « système politico-médiatique ». D’autant que les Français n’ont guère besoin d’être convaincus. Il suffit de consulter le baromètre annuel réalisé par Sciences Po pour le mesurer. Si nos concitoyens accordent très largement leur confiance aux hôpitaux (83 %), à l’armée (82 %), aux petites et moyennes entreprises (81 %), à la police (78 %) ou à l’école (66 %), ils ne sont plus que 44 % à le faire pour la justice, 43 % pour les grandes entreprises privées, 29 % pour les syndicats et, fermant pitoyablement la marche, 24 % pour les médias et 11 % pour les partis politiques.

Il reste que ce procès est caricatural. Que quelques journalistes en mal de reconnaissance cèdent aux sirènes du pouvoir, que quelques politiques en mal de tribune viennent agrémenter les studios nourrit évidemment le soupçon de connivences coupables. Mais cela ne saurait justifier de passer par profits et pertes le travail des quelque 35 000 journalistes français qui s’emploient aussi sérieusement que possible à faire leur métier. C’est-à-dire à informer scrupuleusement, à enquêter solidement, à raconter honnêtement et à décrypter intelligemment la réalité, au service de leurs lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs.

S’il est dans l’air du temps, un tel « dégagisme » à l’encontre des médias n’est pas seulement injuste, mais réducteur et dangereux. Injuste, voire injurieux, car il revient à faire de ces 35 000 professionnels les marionnettes d’un système dont ils seraient les jouets. Cela fait tout de même beaucoup d’idiots utiles ! Réducteur, car cela conduit à occulter la diversité même des médias et un pluralisme que l’Internet a encore démultiplié depuis une dizaine d’années. Dangereux, enfin, car, même si le mélange des genres entre médias et politique est délétère, l’information est un ressort essentiel de la démocratie. Jeter en bloc l’opprobre sur les premiers, c’est fragiliser la seconde.