Commémoration de la mort de l’ancienne première ministre pakistanaise Benazir Bhutto, en décembre 2014 à Lahore. / ARIF ALI / AFP

Après dix ans d’enquête, le verdict de la justice pakistanaise n’aura pas dissipé le mystère entourant l’assassinat, le 27 décembre 2007, de Benazir Bhutto, ancienne première ministre du Pakistan à deux reprises. Principal accusé, l’ancien président pakistanais Pervez Musharraf, a été déclaré « fugitif » par le tribunal, qui a déposé contre lui, jeudi 31 août, un « mandat d’arrêt perpétuel » et a ordonné la confiscation de ses biens.

Mis en examen en 2013, l’ancien dictateur a quitté le Pakistan en mars 2016 pour bénéficier de soins médicaux à Dubaï, sans jamais revenir dans le pays. Il a toujours nié être impliqué dans cet assassinat. Le tribunal a acquitté cinq suspects, de jeunes islamistes présumés qui étaient incarcérés depuis presque dix ans. Deux responsables locaux de la police ont quant à eux été condamnés à 17 ans de prison chacun et 4 000 euros d’amende « pour leur mauvaise gestion de la scène du crime » et leur « négligence criminelle ».

Au terme d’une enquête ralentie par le meurtre de témoins-clés et d’un procureur, les causes de l’assassinat de la première femme à avoir dirigé un pays musulman demeurent une énigme. Deux mois avant sa mort, Benazir Bhutto rentrait d’un exil de neuf ans. Face au général Musharraf, affaibli par un mouvement prodémocratique mené par des avocats, Mme Bhutto voulait reconquérir le pouvoir malgré les menaces qui pesaient sur elle. Réputée libérale et pro-américaine, elle était haïe par les talibans pakistanais et une partie de l’establishment militaire du pays.

M. Musharraf l’avait informée qu’elle était menacée de mort par des groupes djihadistes. Le 18 octobre 2007, elle avait survécu à une attaque-suicide au passage de son convoi, qui tua 139 de ses partisans. Le 27 décembre, un adolescent de 15 ans tira sur elle, pendant qu’elle saluait la foule depuis le toit ouvrant de son véhicule après un meeting politique, et se fit exploser. Le jeune kamikaze était un proche des talibans pakistanais. M. Musharraf a accusé ces derniers d’avoir organisé cet assassinat.

Enquête bâclée

Une commission d’enquête de l’ONU a remis en cause cette version. Elle a jugé, dans un rapport publié en 2010, que l’assassinat aurait pu être « évité » si les autorités avaient fourni une « protection effective » à Benazir Bhutto. Ce jour-là, la police de la province du Pendjab chargée de sa protection n’avait reçu aucune instruction du ministère de l’intérieur. Les enquêteurs de l’ONU ont également fustigé une enquête bâclée. Une heure après l’assassinat, la scène du crime avait été lavée à grande eau, aucune autopsie sur le corps de Benazir Bhutto n’avait été pratiquée, et seules 23 preuves matérielles avaient été collectées.

En 2013, Heraldo Munoz, le président de la commission d’enquête de l’ONU, a résumé ainsi l’enchevêtrement des responsabilités : « Al-Qaida a donné l’ordre, les talibans pakistanais ont exécuté l’attaque, éventuellement appuyés ou au moins encouragés par des éléments de l’establishment (militaires et/ou services secrets), le gouvernement de Musharraf a facilité le crime par sa négligence, les responsables de la police locale ont tenté de camoufler l’affaire. »

Bilawal Bhutto, le fils de l’ancienne première ministre, a qualifié le verdict de « décevant et inacceptable ». Mais les observateurs ne manquent pas de rappeler que son père, Asif Ali Zardari, lorsqu’il était au pouvoir, n’a pas tout fait pour faciliter l’enquête. « C’est un déshonneur navrant porté à la mémoire de l’une des plus grandes dirigeantes du pays », conclut le quotidien Dawn, dans son éditorial de vendredi.