L214 : 15 000 euros d’amende requis pour avoir caché des caméras à l’abattoir d’Houdan
L214 : 15 000 euros d’amende requis pour avoir caché des caméras à l’abattoir d’Houdan
Par Audrey Garric
Le directeur a déposé plainte devant le tribunal de Versailles pour « violation du domicile d’autrui » et « tentative d’atteinte à la vie privée ». Le jugement a été renvoyé au 9 octobre.
Capture d’écran de la vidéo diffusée le 17 février par l’association L214 dans l’abattoir de Houdan, dans les Yvelines. / L214
C’est le premier procès de militants de l’association L214. Après avoir dénoncé des dizaines de cas de maltraitance animale, puis fait condamner un abattoir et l’un de ses salariés en avril au Vigan (Gard), l’ONG de défense des animaux était appelée à la barre, du côté des prévenus cette fois. Deux de ses activistes ont été jugés, lundi 4 septembre, par le tribunal de grande instance de Versailles, pour s’être introduits dans l’abattoir de Houdan (Yvelines) et y avoir placé des caméras.
Les faits remontent à la fin de 2016, quand Sébastien Arsac, cofondateur de l’association, et Tony Duhamel avaient caché quatre caméras GoPro dans l’établissement, dont ils voulaient « dénoncer les souffrances infligées aux animaux », après le signalement d’un lanceur d’alerte.
Ils avaient installé l’une d’entre elles sur une nacelle qui plonge les cochons dans un puits où ils sont asphyxiés à l’aide de CO2 — une méthode d’étourdissement légale des animaux avant la saignée mais décriée. Trahis par la chute de l’engin, ils ont été interpellés par la gendarmerie en flagrant délit, alors qu’ils venaient récupérer leur matériel dans la nuit du 12 au 13 décembre.
Le directeur de l’abattoir, Vincent Harang, a alors déposé plainte pour « violation du domicile d’autrui » et « tentative d’atteinte à la vie privée par fixation, enregistrement ou transmission de l’image ». Ces infractions sont passibles d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende pour le premier chef d’accusation et d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende pour le second. A l’issue de l’audience correctionnelle, le procureur de la République a requis une amende de 15 000 euros, dont 10 000 euros avec sursis. Le jugement a été renvoyé au 9 octobre.
« Juste, légitime, moral »
Devant le tribunal de Versailles, trois heures durant, les deux prévenus ont reconnu les faits, tout en les justifiant. « Nous voulions révéler l’utilisation de gaz aversif pour étourdir les cochons, qui entraîne des réflexes de suffocation et d’agonie, ainsi qu’une rampe d’accès mal conçue qui oblige les ouvriers à utiliser la violence pour faire avancer les bêtes », explique Sébastien Arsac, 44 ans, tout de noir vêtu. « C’est quelque chose qui me paraît juste, légitime, moral. Qui me tient à cœur », abonde Tony Duhamel, 36 ans, aujourd’hui au chômage.
« Ce n’est pas le procès de l’abattoir », a voulu recadrer le procureur, Michel Pellegry, estimant que « l’abattage des porcs s’est fait dans le total respect de la réglementation en vigueur, le jour des faits. » Et de citer notamment un rapport de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) des Yvelines d’avril 2016, « qui n’a pas relevé de dysfonctionnement majeur » – mais de nombreuses non-conformités mineures et moyennes.
« Salariés menacés de mort »
L’avocat de l’abattoir, de son côté, s’est attaqué aux méthodes de L214. « On ment, on agresse, on viole. Oui, on viole la loi pénale », s’est insurgé Me Nicolas Cassart, raillant « l’antispécisme » de l’association qui, selon lui, « défend un égalitarisme entre les hommes et les animaux ». « Pourquoi se déguiser en militaire à la petite semaine, se cagouler, et fuir quand les gendarmes sont là, s’il n’y a pas de violation du domicile ? », a-t-il plaidé.
Il a réclamé près de 219 000 euros de dommages et intérêts, au titre du préjudice subi par l’entreprise et par son directeur. « Des salariés ont été menacés de mort, et l’abattoir, le dernier d’Ile-de-France, qui fait un travail de proximité, a perdu des clients », a-t-il justifié. « La crainte d’être épiés par une caméra cachée, jetés en pâture au moindre manquement, crée une atmosphère anxiogène pour salariés », a renchéri Amélie Bouviala, l’avocate de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles d’Ile-de-France, qui s’est également constituée partie civile.
Plainte de l’association
Pour la défense, l’atteinte à la vie privée ne peut concerner que des personnes physiques et non des personnes morales – à savoir l’abattoir. « M. Harang n’est pas visible sur ces images, qui ne montrent que des cochons. Il n’y a donc pas d’incursion dans l’intimité de la vie privée », assure Me Caroline Lanty, l’une des deux avocates de L214. De même, argue-t-elle, la violation du domicile d’« autrui » ne peut s’appliquer qu’à une personne physique. Ces deux points font l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la défense – qui avait conduit à ajourner une première audience en juin – et d’une demande en nullité des poursuites.
Sa consœur Me Hélène Thouy a, pour sa part, défendu une « action nécessaire et légitime » : « Face aux défaillances et à la complaisance des services vétérinaires, les prévenus ont été contraints d’intervenir en présence d’animaux qui subissent des souffrances considérées comme inutiles. »
L’association, de son côté, a porté plainte pour maltraitance contre l’abattoir auprès du même tribunal de grande instance de Versailles, en février, lorsqu’elle avait diffusé les premières images de l’intérieur de l’établissement. Elles montraient des employés qui donnaient de violents coups aux cochons et utilisaient un aiguillon électrique pour tenter de les faire avancer jusqu’au dispositif de gazage.
Interviewé par France 2, qui lui montrait les images volées, le directeur Vincent Harang avait déclaré : « C’est choquant. Là, il y a une souffrance réelle. Si j’avais vu ça, ça ne se passerait pas bien. Le gars, il a du mal. Le problème, c’est sa colère, il n’est plus dans son état normal. »