L’armée d’Assad à la reconquête de Deir ez-Zor
L’armée d’Assad à la reconquête de Deir ez-Zor
Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Soutenu par Moscou, le régime syrien a pu devancer les rebelles face aux djihadistes qui assiègent la ville.
L’armée syrienne à Bir Qabaqib (Syrie), à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Deir ez-Zor, le 4 juillet. / GEORGE OURFALIAN / AFP
Huit mois après avoir repris Alep aux rebelles, le régime Assad et ses alliés se lancent dans la reconquête d’une autre agglomération syrienne : Deir ez-Zor. Mardi 5 septembre, leurs forces étaient sur le point de briser le siège imposé par l’organisation Etat islamique (EI), depuis près de trois ans, à cette ville de l’est syrien au bord de l’Euphrate. Les troupes pro-gouvernementales ne se trouvaient plus qu’à 3 kilomètres de sa partie nord, l’un des deux secteurs, avec la zone de l’aéroport, où sont barricadés des éléments de l’armée, ainsi qu’environ 90 000 civils.
Cette jonction imminente devrait permettre aux autorités syriennes d’acheminer des renforts vers l’enclave loyaliste et d’y secourir la population, en butte à des pénuries de nourriture et de médicaments, avant de partir à l’assaut des quartiers centraux tenus par les djihadistes.
C’est la baisse des violences dans l’ouest du pays, à la suite de la signature, début mai à Astana, d’un accord de désescalade entre la Russie, l’Iran et la Turquie, qui a permis au régime de mobiliser assez de troupes pour entamer cette offensive. Même si elle n’a pas le prestige et le poids économique d’Alep, la deuxième ville de Syrie, Deir ez-Zor, est proche des principaux champs pétroliers du pays.
La pression des djihadistes a augmenté en janvier, quand ils ont réussi à couper la route entre les quartiers d’Al-Joura et d’Al-Qoussour, au nord, où sont cantonnés les loyalistes, et l’aéroport plus au sud, par où leur parvenait du ravitaillement. Pendant quelques semaines, le risque d’un effondrement des positions gouvernementales a plané sur la ville. Les parachutages de vivres des Nations unies, dont les avions ont effectué trois cents rotations depuis le début de l’année, ont aidé la population à tenir.
Marche arrière
Ce rapport de force a été bouleversé par la charge des pro-Assad à travers la Badiya, le désert de l’est syrien. En trois mois, progressant sur trois axes différents avec le soutien de l’aviation russe, ces forces ont repris le contrôle des étendues caillouteuses qui séparent les zones urbaines de l’ouest – la Syrie dite « utile » – de la vallée de l’Euphrate. Le recul de l’EI s’est accéléré au mois d’août, avec la chute successive des localités de Soukhna et d’Ouqayribat. Les combats ont fait de nombreuses victimes dans le camp loyaliste, notamment deux soldats russes, dont la mort a été annoncée lundi par Moscou.
Cette percée a pris de vitesse tous les concurrents de l’armée syrienne, qui espéraient lui ravir l’honneur de pénétrer en premier dans Deir ez-Zor. La désillusion est notamment grande parmi les rebelles positionnés à Al-Tanf, à la jonction des frontières entre Syrie, Irak et Jordanie. Au mois de mai, ces groupes armés avaient reçu des équipements de leurs parrains américain et britannique.
Durant le printemps, l’aviation américaine avait même bombardé à plusieurs reprises des convois de milices chiites faisant route vers les positions de leurs protégés. Les Etats-Unis semblaient alors décidés à empêcher la reconstitution du corridor Bagdad-Damas, permettant à l’Iran de ravitailler en armes non seulement son allié syrien, mais aussi le Hezbollah chiite libanais.
Mais durant l’été, face à l’incapacité des rebelles, trop peu nombreux, à barrer la route de Deir ez-Zor aux combattants pro-régime, et du fait de leur propre réticence à s’engager plus avant, les Américains ont fait marche arrière. Ils ont d’abord proposé aux rebelles de passer sous le commandement des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance à dominante kurde, qui inclut des unités arabes, déployée dans le nord de la Syrie. Ce qu’ils ont refusé. « Finalement, dimanche, les rebelles ont reçu un message de leurs contacts américains leur suggérant, avec insistance, de se replier en Jordanie », raconte Basel Al-Junaïdi, un analyste syrien, proche de l’opposition, basé à Gaziantep, dans le sud de la Turquie, qui ajoute : « Le lâchage est complet. Pour les Etats-Unis, le dossier syrien, mis à part l’EI, est désormais une affaire russe. »
Division du travail
Les FDS, de leur côté, sont trop occupées par la bataille de Rakka, la « capitale » de l’EI en Syrie, plus au nord, pour faire de l’ombre aux forces pro-gouvernementales. Le 25 août, les chefs kurdes ont annoncé qu’ils se lanceraient « très bientôt » à l’assaut de Deir ez-Zor, mais en précisant qu’ils entendaient par là la province et non la ville. Une ligne de « déconfliction » a été tracée par les Américains, soutiens des FDS, et les Russes, protecteurs du régime, de part et d’autre de l’Euphrate, pour éviter les incidents entre leurs « clients » respectifs. Les premiers sont censés opérer au nord du fleuve, et les seconds au sud, zone qui inclut la ville de Deir ez- Zor.
Mais cette division du travail est théorique. Si les combats de Rakka s’éternisent tandis que ceux de Deir ez-Zor progressent rapidement, les forces pro-Assad auront du mal à résister à la tentation de franchir l’Euphrate. Le régime ne fait d’ailleurs aucun mystère de sa volonté de récupérer la totalité du gouvernorat de Deir ez-Zor, notamment le gisement pétrolier d’Al-Omar, le plus important de Syrie, et les villes d’Al-Mayadin et d’Albou Kamal.
Une victoire sur l’EI, ennemi numéro un des capitales occidentales, aiderait le pouvoir syrien à redorer son blason sur la scène internationale. Et le redéploiement de troupes régulières à la frontière avec l’Irak constituerait un succès personnel pour Bachar Al-Assad, qui s’est toujours dit déterminé à reconstituer la Syrie d’avant 2011 qu’il a héritée de son père.