TV : « Et la jeunesse, bordel ! », plaidoyer en faveur d’une génération sacrifiée
TV : « Et la jeunesse, bordel ! », plaidoyer en faveur d’une génération sacrifiée
Par Daniel Psenny
Notre choix du soir. Entre désillusion et pugnacité, Jean-Charles Doria montre le parcours semé d’embûches de sept étudiants diplômés pour intégrer le monde du travail (sur France 3 à 23 h 10).
Ils s’appellent Léa, Martin, Ana, Benjamin, Gladys, Hamza. Ils ont entre 20 et 26 ans, et malgré leur bac + 5 ou leur bac pro, leur avenir est tout tracé : chômage, petits boulots et précarité. Une génération Y ni laxiste ni paresseuse, mais déboussolée et sans perspectives. Une jeunesse sacrifiée sur l’autel de la mauvaise santé de l’économie par les générations précédentes, celle des « trente glorieuses » notamment, qui, après en avoir bien profité, ne s’est pas souciée de celle qui allait lui succéder.
Pendant un an, le réalisateur Jean-Charles Doria a filmé au plus près les galères de ces jeunes gens dans plusieurs villes de France. A travers leurs histoires, il nous livre un documentaire en deux volets (Qu’allons-nous faire de nos enfants ? et L’Espoir chevillé au corps), filmés avec recul et délicatesse, qui permet de comprendre un peu mieux ce qui ne fonctionne pas entre le travail et la jeunesse. Tous sont à la recherche d’un emploi, certains tentent de créer leur propre entreprise, d’autres cravachent dur pour décrocher un diplôme tout en accomplissant des petits boulots qui leur permettent à peine de se loger ou de manger correctement. Pour eux, les loisirs n’existent pas.
« Et la jeunesse, bordel ! », de Jean-Charles Doria. / FRANCE 3
Appuyée par les éclairages de sociologues et de politologues, cette série documentaire pointe les paradoxes d’une France où l’Etat subventionne à coup de millions d’euros des plans emploi pour la plupart inefficaces alors que la jeunesse, souvent diplômée, n’arrive pas à s’insérer sur le marché du travail. « En France, il existe un “effet cicatrice” difficile à surmonter pour un jeune qui subit un premier échec pour s’insérer dans le monde du travail », explique le sociologue Louis Chauvel, auteur de La Spirale du déclassement. Essai sur la société des illusions (Seuil, 2016), qui dénonce « le racisme antijeunes » qui sévit chez la plupart des gros employeurs. Hamza, qui cherche à faire valider son stage dans une entreprise, en sait quelque chose : « Trop jeunes dans un monde de vieux. »
Un cri d’alarme
L’Etat a beau dépenser des fortunes pour la jeunesse – comme le rappelle Jean-Charles Doria dans son commentaire –, les statistiques restent catastrophiques : un jeune sur quatre est au chômage, un sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, et un sur six est complètement exclu du système. « Jamais les jeunes générations n’ont été confrontées à autant de précarité dans l’emploi », souligne le réalisateur. « Il existe surtout une reproduction sociale. Un fils d’ouvrier reste souvent un ouvrier », appuie le politologue Thomas Guénolé, qui tient la chronique « Salauds de jeunes » dans le mensuel Neon.
Tout au long de ce documentaire, on s’attache aux différentes personnalités de ces jeunes, dont on souhaite vivement qu’ils s’en sortent. C’est le cas pour certains d’entre eux, que le réalisateur a retrouvés quelques mois plus tard. Ils sont métamorphosés. « Mon film est un plaidoyer pour cette génération, un cri d’alarme. Derrière la colère et la fatigue, il y a beaucoup d’optimisme et d’énergie », explique Jean-Charles Doria. En écho, Martin, cancre et rebelle à l’école mais qui, à 20 ans, a monté avec beaucoup de difficultés sa start-up, lui répond : « Pour moi, être heureux, c’est pas seulement avoir du pognon. »
Et la jeunesse, bordel !, de Jean-Charles Doria (Fr., 2017, 2 × 60 min). Le second volet sera programmé sur France 3 jeudi 14 septembre à 23 h 10.