Emmanuel Macron a prévenu ses opposants : « Je ne céderai rien ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes », a-t-il lancé, vendredi 8 septembre, depuis la Grèce. Le président de la République affrontera, mardi, son premier vrai test social. Ce jour-là, la CGT appelle à se mobiliser contre ce qu’elle nomme « la loi travail XXL ». Une référence à la réforme portée en 2016 par Myriam El Khomri, alors ministre du travail.

Plus de 180 manifestations sont annoncées sur tout le territoire. Et « il n’y aura pas que la CGT dans la rue », a promis son secrétaire général, Philippe Martinez, dimanche, dans Le Parisien.

  • Force ouvrière ne défilera pas

Seuls Solidaires, la FSU et l’UNEF ont décidé de se joindre aux cortèges. Même si la plupart des organisations syndicales ont critiqué, avec plus ou moins de force, les ordonnances réformant le code du travail, l’exécutif a déjà remporté une victoire en ramenant FO dans le jeu de la concertation et en obtenant de son secrétaire général, Jean-Claude Mailly, des prises de position mesurées sur ces textes.

« Le gouvernement a tout fait pour détacher Force ouvrière de la CGT, décrypte Pierre Ferracci, président du groupe de conseil Alpha et expert en questions sociales. Il l’a fait en inscrivant dans les ordonnances des mesures qui donnent satisfaction à Jean-Claude Mailly : en l’occurrence sur le rôle de la branche – sujet central pour FO – qui est préservé. Par rapport aux intentions initialement exprimées durant la campagne présidentielle de privilégier l’accord d’entreprise, il y a un rééquilibrage manifeste. »

De plus, considère M. Ferracci, « l’exécutif a compris que Jean-Claude Mailly ne voulait pas revivre les situations où son organisation fut mise à l’écart, comme lors de la contestation contre la loi El Khomri ou pendant l’élaboration en 2013 de l’accord interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi » : « Le gouvernement s’est montré à l’écoute de FO qui, de son côté, a considéré qu’il y avait une position médiane à prendre entre la CFDT et la CGT. »

Tout en soulignant des « points fondamentaux de désaccord », M. Mailly estime avoir réussi à bloquer certaines dispositions et, surtout, pense avoir obtenu le renforcement du pouvoir de la branche. La direction de FO a donc refusé de descendre dans la rue mardi. Un choix qui ne fait pas l’unanimité en interne. Plus de la moitié de ses unions départementales, soit une cinquantaine, et au moins sept de ses fédérations ont décidé de passer outre. « Beaucoup de camarades se sont laissés porter par la CGT qui a fait de la retape partout, car ils ne sont pas sûrs de leur coup », regrette un dirigeant de FO.

  • La CFDT absente des manifestations

Malgré sa « profonde déception », la CFDT ne défilera pas non plus. « Quelles sont les perspectives ?, interroge Véronique Descacq, numéro deux du syndicat. Juste dire que l’on n’est pas contents ? Ce ne sera pas une manifestation de salariés mais de militants. » Du côté des centrales dites « réformistes », on rejette sur la CGT la responsabilité de la balkanisation syndicale.

« Si la date du 12 n’avait pas été décidée de manière unilatérale, elle aurait constitué une des options possibles pour nous », assure François Homméril, président de la CFE-CGC. Malgré de féroces critiques – qui ne reflètent pas forcément l’opinion majoritaire parmi ses troupes –, le patron de la centrale des cadres n’a pas appelé à se mobiliser mardi, mais certaines de ses fédérations seront présentes sur le terrain.

Pour autant, le dialogue n’est pas rompu entre les cinq confédérations représentatives. Leurs leaders se sont retrouvés, le 5 septembre, au siège de la CFDT pour faire le point. « Les analyses sont beaucoup moins divergentes que lors de la loi El Khomri, souligne Fabrice Angei, membre du bureau confédéral de la CGT. Nous pensons que la jonction pourra se faire dans le temps. »

« Nous n’avons pas les mêmes méthodes mais ça ne veut pas dire que nous sommes complètement divisés », note, pour sa part, Philippe Louis, président de la CFTC.
  • La France insoumise, concurrente de la CGT

La CGT doit aussi composer avec La France insoumise (LFI) qui organise une manifestation, le 23 septembre à Paris, contre ce qu’elle qualifie de « coup d’Etat social ». Une initiative qui a crispé encore un peu plus des relations déjà compliquées entre Philippe Martinez et Jean-Luc Mélenchon. Les deux hommes se sont entretenus, le 6 septembre, à l’Assemblée nationale. Le chef de file de la CGT a fait savoir qu’il ne serait pas présent à la marche de LFI quand le député des Bouches-du-Rhône, lui, a coché la date du 12.

Pour contrer la concurrence du mouvement de M. Mélenchon, la CGT a annoncé une nouvelle journée de mobilisation, le 21 septembre, à la veille du conseil des ministres au cours duquel doivent être présentées les ordonnances – et deux jours avant la manifestation de LFI... « La situation est délicate pour Philippe Martinez : il ne peut pas se montrer moins combatif que La France insoumise, sauf à risquer de se faire boulotter par celle-ci », observe Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio et spécialiste des questions sociales.

« Philippe Martinez n’a aucune envie d’être récupérée par La France insoumise mais il ne souhaite pas que la mobilisation du 12 septembre soit dépassée par celle du 23 septembre, à l’initiative du mouvement de Jean-Luc Mélenchon », abonde M. Ferracci.
  • La CGT veut peser sur les prochaines réformes

Dans les prochaines semaines, la CGT compte capitaliser sur la grogne née après les annonces sur la baisse des APL, la diminution du nombre de contrats aidés ou encore le rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires et le gel de leur point d’indice. Sans compter une rentrée universitaire sous tension…

« On verra comment la CGT arrive à mettre en mouvement son propre appareil et si elle parvient à élargir, note Guy Groux, chercheur au Cevipof. Mais je vois assez mal une mobilisation massive fondée sur l’agrégation de mécontentements. »

L’organisation dirigée par M. Martinez n’a cependant pas dit son dernier mot car d’autres dossiers lourds attendent les syndicats comme la réforme de la formation professionnelle, de l’assurance-chômage et l’apprentissage.

« La contestation des organisations syndicales peut monter en puissance à la faveur des négociations qui vont s’ouvrir sur ces thématiques – dans l’hypothèse où le gouvernement voudrait faire passer des mesures qui leur déplaisent, observe Pierre Ferracci, président du groupe de conseil Alpha et expert en questions sociales. Et le bouquet final, ce sont les retraites et les régimes spéciaux, autant de motifs potentiels de crispation. » Pour lui, « le gouvernement a intérêt à être sur ses gardes ».

« La CGT aura encore du grain à moudre, poursuit Guy Groux. Si elle perd la bataille du 12, elle considère qu’elle n’a pas pour autant perdu la guerre. »

Compte tenu du nombre de sujets à risque déjà sur la table ou qui le seront durant les mois à venir, « la situation doit être suivie de très près », juge M. Soubie, ajoutant : « Toute la question est de savoir si les mécontentements vont converger et se cristalliser. »