Pourquoi l’aventure Afrostream, le Netflix africain, se solde par un échec cuisant
Pourquoi l’aventure Afrostream, le Netflix africain, se solde par un échec cuisant
Par Gilles Kounou (chroniqueur Le Monde Afrique)
Absence de modèle économique viable, méconnaissance du terrain ou manque de stratégie : notre chroniqueur décrypte les ratages de la plateforme VOD sur le continent.
La belle histoire d’Afrostream, qui se voulait le Netflix africain, n’a pas fait long feu. Mi-2016, Tonjé Bakang, son promoteur franco-camerounais, annonçait les objectifs de sa plateforme de vidéo à la demande (VOD) proposant des contenus exclusivement africains, afro-caribéens et afro-américains : 50 000 abonnés (à 6,99 euros par mois) pour la fin de l’année 2016 et 1 million d’euros de chiffres d’affaires. Ces chiffres ont-ils été atteints ? On ne le saura jamais. Vendredi 15 septembre, via son compte Twitter, la start-up nantaise a annoncé la suspension de son service et le non-renouvellement des abonnements en cours à leur expiration.
La principale raison évoquée est celle du manque de financement. Pourtant, il y a quelques mois encore, les investisseurs semblaient se bousculer au portillon, qu’il s’agisse de TheFamily, une entreprise dont l’objectif est de promouvoir l’émergence d’un écosystème de start-up françaises, du célèbre accélérateur américain Y Combinator ou du fonds d’investissement Orange Digital Ventures. Les plus grands noms de la scène tech américaine et les médias, anglophones comme francophones, promettaient un brillant succès à Afrostream.
Marché ultra concurrentiel
Le service, après avoir enthousiasmé 50 000 fans sur Facebook, a ouvert il y a deux ans et diffusait via un partenariat avec Orange dans 24 pays africains ainsi qu’en France, en Belgique, en Suisse, au Royaume-Uni et au Luxembourg. L’idée d’offrir en Occident un contenu communautaire à un public minoritaire ou marginalisé dans les médias était fort pertinente, et l’arrivée des 10 000 premiers abonnés en sept mois avait permis de valider un projet a priori bien marketé. Mais peut-on en dire autant de l’ouverture du service vers la clientèle africaine ?
Sur le continent, la start-up n’a manifestement pas résisté à la rude concurrence qui se joue sur le marché du multimédia, avec l’ouverture de Canal VOD, l’offensive de l’américain Netflix en Afrique francophone et les développements de Trace TV via le rachat de Buni TV, basé à Nairobi. Le cabinet Balancing Act, dans son rapport « VOD and Africa : a review of existing VOD services, drivers, challenges and opportunities » paru en juillet, révèle qu’une quarantaine d’acteurs se disputent le marché ultra concurrentiel de la VOD en Afrique.
Un acteur majeur comme Iroko TV ne s’y est pas trompé, qui a préféré miser sur les diasporas africaines du Royaume-Uni et des Etats-Unis, tandis qu’Afrostream, le Petit Poucet, se tournait vers l’Afrique francophone. Si cette ouverture répondait à un besoin d’élargir la base de clients, elle est peut-être celle qui, paradoxalement, a sonné le glas de la jeune entreprise nantaise, dont l’offre s’est avérée pauvre en contenus, peu diversifiée, trop resserrée sur l’identité, surtout, diffusée à travers un canal inadapté à la cible africaine.
Problème de connectivité
Ainsi, dans une interview accordée à l’accélérateur nantais Startup Palace en décembre 2016, Ludovic Brostal, associé de Tonjé Bakang et ancien de M6 Replay, indiquait : « Il y a un gros problème de connectivité sur tout le continent. Il y est par exemple très difficile de creuser des tranchées pour mettre des câbles [de fibre optique]. En revanche, les accès mobiles 3G et 4G augmentent beaucoup et il y a une croissance de plus de 10 % tous les ans du taux d’équipement en smartphones. »
Mais ces offres 4G et 3G, qui représentent plus de 80 % des connexions à Internet en Afrique, sont encore d’un prix très élevé et, si elles s’accommodent assez bien de la visualisation de vidéos courtes, sont incompatibles avec un service de VOD nécessitant une large bande et un accès illimité. Tonjé Bakang, jeune acteur culturel devenu entrepreneur en un été, semble être passé à côté de cette réalité, contrairement aux investisseurs. De son aveu même dans sa lettre expliquant la fermeture d’Afrostream, ceux-ci ont été réticents à la mise en place d’un nouveau round de placement alors même que la jeune pousse n’avait pas atteint les résultats prévisionnels annoncés lors de la première levée de fonds.
Loin d’être une histoire à railler, l’échec d’Afrostream est le révélateur d’une vérité toute simple : 90 % des start-up qui naissent finissent par mourir par absence de modèle économique viable, par méconnaissance du métier qu’elles transforment ou par manque de stratégie. Dans ces conditions, pas d’aventure entrepreneuriale durable. Et à ce jeu-là, les investisseurs ne se font guère avoir.
Gilles Kounou, spécialiste des questions d’innovation numérique, est fondateur d’Open SI à Cotonou, une société active dans la transformation numérique des organisations en Afrique de l’Ouest.