Dans l’enquête russe, le revirement de Facebook
Dans l’enquête russe, le revirement de Facebook
Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)
En contribuant à l’enquête sur les ingérences russes dans l’élection présidentielle américaine de 2016, le réseau social veut montrer son « attachement au processus démocratique ».
Mark Zuckerberg, le fondateur et patron de Facebook, en avril 2016. / Eric Risberg / AP
Après la naissance de sa deuxième fille, fin août, Mark Zuckerberg avait annoncé prendre un congé parental de deux mois. Il n’aura pas pouponné longtemps. Jeudi 21 septembre, il est intervenu sur le service vidéo Facebook Live pour défendre le réseau social contre les multiples critiques dont il fait l’objet depuis l’élection présidentielle américaine de novembre 2016. « J’ai passé pas mal de temps avec nos équipes sur la question des interférences de la Russie dans les élections américaines. J’ai pris quelques décisions que je veux partager avec vous. »
Dans sa vidéo de sept minutes, il assure qu’il est « profondément attaché au processus démocratique ». « Je ne veux pas que qui que ce soit utilise nos instruments pour nuire à la démocratie », proclame-t-il. Le ton, entre mea culpa et promesse de réformes, n’est pas sans rappeler celui des hommes politiques.
Il évoque le travail réalisé avec les commissions électorales mondiales et rappelle que Facebook a fermé des milliers de faux comptes susceptibles d’influencer les résultats de multiples scrutins, « dont l’élection française récente ». Après avoir travaillé à débusquer les ingérences étrangères dans les élections fédérales qui se tiendront dimanche 24 septembre en Allemagne, il atteste qu’aucun « effort de ce type » n’a été décelé, et que les Allemands peuvent voter tranquillement. A 33 ans, Mark Zuckerberg se trouve dans une position inattendue de gardien du processus démocratique. « Nous sommes dans un nouveau monde. C’est un nouveau défi pour les communautés de l’Internet de traiter avec des Etats-nations qui essaient de subvertir les élections. » Mais, ajoute-t-il, « nous sommes déterminés à être à la hauteur de l’occasion. »
Algorithmes instrumentalisés
Quelques jours après l’élection de 2016, Mark Zuckerberg rejetait toute tentative d’incriminer les « fake news » (informations mensongères) dans l’élection de Donald Trump. L’idée que des contre-vérités répercutées sur Facebook aient pu influencer le vote lui paraissait « plutôt folle ». Il rejetait toute suggestion laissant entendre que le réseau social se faisait instrumentaliser pour des raisons commerciales.
Dix mois plus tard, sous la pression de l’enquête officielle conduite à Washington, Facebook a été obligé de révéler, le 6 septembre, que près de 470 faux comptes liés à la Russie avaient acheté pour plus de 100 000 dollars de publicités sur la plate-forme pendant la campagne.
Dans son message vidéo, Mark Zuckerberg confirme implicitement qu’il n’a pris la mesure du problème que tardivement. Facebook a enquêté « pendant de longs mois » sans trouver de preuves de faux comptes liés à la Russie. Ce n’est que « récemment » que les faux comptes ont été mis au jour. « Quand nous avons découvert cette activité, nous en avons référé au procureur spécial » Robert Mueller, affirme-t-il. A la faveur de son enquête sur une éventuelle collusion avec la Russie, celui-ci essaie notamment de déterminer si le ciblage précis d’électeurs dans telle ou telle circonscription a été effectué en liaison avec les responsables de la campagne numérique de M. Trump – le premier d’entre eux étant le gendre du magnat, Jared Kushner.
Depuis le 6 septembre, Facebook refusait de rendre publiques les publicités achetées par les hackeurs, au nom de la confidentialité due aux usagers. Certaines avaient seulement été montrées aux membres des commissions d’enquête parlementaire de la Chambre des représentants et du Sénat. Jeudi, Mark Zuckerberg a annoncé que le réseau allait désormais coopérer pleinement avec les autorités.
Comme le réclamaient les parlementaires, plus de 3 000 publicités vont être intégralement transmises au Congrès. A charge pour les élus d’en révéler ou pas le contenu ou les commanditaires. Certaines contiennent des messages attaquant Hillary Clinton et faisant le panégyrique de Donald Trump. D’autres portent sur les questions qui enflamment les débats aux Etats-Unis comme le contrôle des armes à feu ou l’avortement. Aucune intervention humaine n’a contribué à la vente de ces messages, confirme Mark Zuckerberg, en vertu du modèle informatisé de collecte de la publicité, qui fait la fortune de Facebook.
Réforme de l’anonymat sur les publicités en ligne
Il promet une plus grande vigilance, et se prononce en faveur de la proposition faite par les démocrates d’appliquer aux plates-formes électroniques la réglementation sur la diffusion de publicités politiques, qui s’exerce dans les médias traditionnels.
Facebook ira même « plus loin », annonce-t-il. Non seulement les citoyens seront informés de l’identité de ceux qui financent des publicités politiques, mais ils pourront consulter une page consacrée à l’annonceur. Celle-ci leur montrera aussi des publicités ciblant les autres usagers. « Ce ne serait pas réaliste de vous dire que nous allons arrêter toutes les interférences, poursuit-il. Mais nous pouvons les rendre beaucoup plus difficiles. »
Facebook n’est pas la seule plate-forme à intéresser les enquêteurs. Twitter, qui a été la cible d’une offensive de « bots » (les comptes automatiques), a également remis des documents au procureur spécial. Ses responsables doivent être entendus par la commission du renseignement du Sénat. Signe supplémentaire que les géants des technologies sont devenus des acteurs à part entière dans le fonctionnement des démocraties.