Des migrants originaires d’Afrique subsaharienne attendent d’être secourus, au nord de Sabratha (Libye), le 25 juillet. / Santi Palacios / AP

Le drame a mis plusieurs jours pour apparaître dans toute son ampleur. Mercredi 20 septembre, les gardes-côtes libyens annonçaient avoir repêché, au large des côtes libyennes, sept naufragés. Partis des environs de Sabratha (70 kilomètres à l’ouest de Tripoli), à bord d’un bateau pneumatique bondé, ils s’étaient retrouvés à court de carburant, et leur embarcation avait dérivé longuement, dans une mer très agitée, avant de chavirer puis d’être engloutie. Ils en étaient les seuls survivants.

Jeudi, le porte-parole de la marine libyenne, Ayoub Amr Ghasem, annonçait que « plus de 100 migrants [étaient] portés disparus » : d’après les témoignages des survivants et les informations recueillies à terre, à son départ, la barque accueillait plus de 120 personnes, la plupart originaires d’Afrique subsaharienne.

Vendredi, l’antenne libyenne du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) ajoutait un autre élément glaçant : une fois épuisé son carburant, le bateau aurait dérivé plus de sept jours, sans être détecté par personne. Une « horreur bouleversante » pour Carlotta Sami, porte-parole du HCR pour l’Europe du Sud, qui constitue le premier drame d’ampleur connu depuis la chute spectaculaire du nombre de sauvetages en mer, observée à la mi-juillet.

Opacité

Avec 11 500 arrivées en juillet et 3 900 en août, soit 30 000 migrants secourus de moins qu’en 2016 à la même période, le phénomène est net. A Rome, on l’attribue avant tout aux efforts pour moderniser l’équipement des gardes-côtes libyens ainsi qu’à la mise au pas des ONG humanitaires opérant en Méditerranée, accusées, par leur présence, de constituer un formidable « appel d’air » pour les passeurs, voire de faciliter le trafic d’êtres humains. Selon plusieurs sources, il faudrait surtout y voir l’effet d’accords peu avouables passés avec des groupes armés libyens, désormais payés pour stopper un trafic auquel, naguère, ils ont largement participé.

La situation reste confuse – la presse italienne se perd en conjectures sur les raisons du soudain départ, depuis Sabratha, de près de 2 000 réfugiés, autour du 16 septembre –, mais la tendance observée depuis deux mois est incontestable, tandis que recommencent à s’ouvrir d’anciennes routes, délaissées ces derniers mois par les passeurs, comme celles partant de Tunisie vers Lampedusa. Quant aux gardes-côtes libyens, qui effectuent désormais la majorité des opérations, dans des conditions dénoncées par l’ensemble des ONG humanitaires, le bilan de leur action en mer est entouré d’une grande opacité.

Au printemps et durant l’été, plusieurs défenseurs des ONG attaquées par le gouvernement et les magistrats italiens avaient alerté sur le risque de voir augmenter dramatiquement le nombre de morts en mer, qui se monte désormais à au moins 2 500 depuis le début de l’année. Les corps emportés par le courant, que la mer a rejetés sur les plages de Zouara ces derniers jours, en sont la dramatique confirmation.