Sacré Stravinski à la Philharmonie de Paris !
Sacré Stravinski à la Philharmonie de Paris !
Par Pierre Gervasoni
Avec une mise en perspective de son œuvre, le programme « Stravinski rituels » a permis de tester les week-ends thématiques.
La Philharmonie de Paris propose quasiment chaque week-end d’engager une réflexion thématique en plaçant une demi-douzaine de concerts sous une même enseigne. Amorcée avec la « Trilogie Monteverdi » (16-18 septembre) et bientôt poursuivie avec « D’après Shakespeare » (29 septembre-1er octobre), la formule paraît séduisante sur le papier. Le deuxième volet de la série, « Stravinski rituels », samedi 23 septembre, semblait idéal pour tester la validité du parti d’ensemble. Trois rendez-vous dans trois endroits différents avec, à chaque fois, un genre spécifique : récital (piano solo), concert vocal participatif (choral et symphonique) puis programme contemporain (ensemble et électronique).
Un spectacle véritablement chorégraphique
L’amphithéâtre de la Philharmonie 2 affiche complet en début d’après-midi pour le parcours pianistique de l’année 1911 effectué par Abdel Rahman El Bacha sur un Gaveau de 1907, à voir autant qu’à entendre. Un constat qui vaut aussi pour le soliste, à la fois sensible et flamboyant. El Bacha semble jouer pour lui et nous « admettre » à ses côtés. Ses yeux sont fixés sur ses doigts. Les nôtres, également ; pour ne rien rater d’un spectacle véritablement chorégraphique. Les très sensuelles Goyescas, d’Enrique Granados, contiennent une galaxie d’états amoureux qu’El Bacha nous fait entrevoir avec un instrument métamorphosé en éventail XXL.
Changement de jeu avec les Valses nobles et sentimentales, de Maurice Ravel. Le clavier devient trampoline puis tatami pour un combat au sol (dièse, assez vite) des deux mains. Arrive l’heure d’Igor Stravinski, sonnée (comme le public) par les trois titanesques Mouvements de Petrouchka. L’œuvre d’un héros aux supers-pouvoirs dans laquelle on retrouve toutefois le coloris populaire cher à Granados et le défi rythmique relevé par Ravel. La mise en perspective stravinskienne commence bien. D’autant qu’Abdel Rahman El Bacha, ovationné après chaque morceau, a réussi des prouesses d’interprétation.
Savant tissage de fils fantomatiques
On se sent, nous aussi, prêt pour le concert vocal participatif programmé à la Philharmonie 1 à 16 h 30. Or, il est près de 17 heures et, même en ayant fait l’impasse sur le bis généreusement donné par El Bacha (une Etude-tableau, de Rachmaninov, elle aussi, de 1911) on aurait largement raté le début du concert suivant. Problème de minutage en amont ou a priori tacite de ne pas destiner les deux concerts au même public ? Après ce raté dans le rite, on a tout le temps de se préparer au « Grand soir » investi par l’Ensemble intercontemporain (sous la direction de Duncan Ward) dans l’ancienne salle de la Cité de la musique (Philharmonie 2). Au contraire du récital de piano, le programme s’étire en longueur et compte deux entractes. On aurait pu resserrer le propos en nous dispensant de l’indigeste N°31, de Richard Ayres, méli-mélo de gags sous-titré « NONcerto for trumpet » (assurément une non œuvre d’un non compositeur) et, du coup, du second entracte.
Le très troublant Gougalon, d’Unsuk Chin, savant tissage de fils fantomatiques, aurait mieux assumé son rôle de pendant au truculent Renard, de Stravinski. Entre la « Scène de théâtre de rue » suggérée par la compositrice d’origine sud-coréenne et le numéro de bateleur réglé sur les tréteaux de Maître Igor, de nombreuses correspondances étaient à découvrir. Plus immédiate dans le temps (en début de concert) mais moins évidente dans l’expression (délibérément fuyante), la parenté entre les savoureuses Trois pièces pour clarinette d’Igor Stravinski et le transcendantal Bhakti, de Jonathan Harvey, invitait à considérer la composition sous l’angle du sacré. Renard aussi mais pour un usage plus familier du mot…Sacré Stravinski !
Philharmonie de Paris, le 23 septembre. Prochain week-end thématique : « D’après Shakespeare », 29 septembre-1er octobre. Tél. : 01-44-84-44-84. philharmoniedeparis.fr