Ayesha Gulalai a refusé de dévoiler les messages envoyés par Imran Khan par crainte de représailles. / Sara Farid/ Guardian News & Media

Pour avoir publiquement accusé le dirigeant de son parti de harcèlement sexuel, une jeune députée pakistanaise a été menacée de meurtre et d’attaque à l’acide. Elle vit désormais sous protection policière. Il faut dire que le dirigeant en question est une icône nationale : l’ancienne star du cricket Imran Khan. Le 1er août, Ayesha Gulalai Wazir avait expliqué lors d’une conférence de presse avoir reçu en 2013 des SMS « indécents » de la part de celui qui est désormais le leader du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), l’un des principaux partis d’opposition. La députée, originaire du Sud-Waziristan, une zone tribale de la ceinture pachtoune proche de la frontière afghane, a refusé de dévoiler les messages par crainte de représailles, expliquant que c’était à la justice de les chercher dans le téléphone portable d’Imran Khan. Ce dernier a démenti ces accusations, par la voix de son parti. Une commission parlementaire a été chargée de mener l’enquête.

« De nombreuses femmes au Pakistan font face au harcèlement sexuel, surtout sur les réseaux sociaux, et on attend d’elles qu’elles se taisent. » Women’s Action Forum

Si quelques rares voix se sont exprimées pour saluer le courage de cette députée, un tombereau d’insultes et de menaces s’est abattu sur elle, en particulier par le biais des réseaux sociaux. Derrière des comptes anonymes, certains ont demandé qu’elle soit condamnée à recevoir des coups de fouet ; d’autres l’ont traité de « menteuse » et d’« opportuniste », agissant en sous-main pour le compte de la Ligue musulmane du Pakistan, le parti au pouvoir. Des membres du PTI s’en sont pris à sa sœur, une joueuse professionnelle de squash vivant au Canada, car elle ne porte pas le voile et s’habille en short. La section des femmes du parti a même menacé la députée d’organiser à son domicile une jirga, une assemblée traditionnelle pachtoune chargée de trancher les litiges selon la loi coranique, si elle ne retirait pas ses propos.

Des journalistes ont mis en doute ses accusations, en lui demandant si elle n’avait pas été éconduite par Imran Khan après avoir voulu l’épouser. L’association de défense des droits des femmes Women’s Action Forum est l’une des rares à avoir soutenu Ayesha Gulalai. « La triste réalité, c’est que de nombreuses femmes au Pakistan font face au harcèlement sexuel, surtout sur les réseaux sociaux, et qu’on attend d’elles qu’elles se taisent », a dénoncé l’association dans un communiqué publié début août.

Le harcèlement est si répandu, voire banalisé, dans la société pakistanaise que la marque de prêt-à-porter Saira Shakira a publié, en août 2016, des photographies de mode mettant en scène une femme, le visage grimaçant, retenue de force par un homme sur le seuil d’une maison ou encore dévisagée par des groupes de passants dans la rue. Devant l’indignation, la campagne a tout de même été retirée. Rares sont les victimes de harcèlement sexuel à porter plainte, redoutant de compromettre l’« honneur » de leur famille ou de leur communauté.

« Ayesha Gulalai paie le prix de sa dénonciation publique du harcèlement. » Zoya Rehman et Hija Kamran, féministes

La Commission des droits de l’homme du Pakistan recense au moins 500 meurtres de femmes chaque année par un membre de leur famille pour avoir refusé un mariage arrangé ou même avoir dansé ou chanté, des activités réprouvées dans certaines régions du Pakistan. La star du petit écran Qandeel Baloch, qui publiait des photos d’elle dans des poses jugées scandaleuses par certains, a ainsi été tuée par son frère, en juillet 2016.

D’après une enquête menée par le centre de recherche Digital Rights Foundation, un tiers des Pakistanaises ont été victimes d’abus ou de harcèlement sur Internet, et 70 % d’entre elles n’osent pas publier de photos d’elles de peur qu’elles soient détournées ou utilisées comme un moyen de chantage. « Ayesha Gulalai paie le prix de sa dénonciation publique du harcèlement », constatent les féministes Zoya Rehman et Hija Kamran dans le quotidien pakistanais Dawn. L’affaire Gulalai aura au moins servi à faire du harcèlement un sujet de débat national.