En envisageant de ne pas se rendre à la Maison Blanche, Stephen Curry a provoqué les foudres de Donald Trump. / Marcio Jose Sanchez / AP

« Notre pays est une source d’embarras pour le monde entier. » La formule est signée Gregg Popovich, quintuple champion NBA sur le banc des San Antonio Spurs et entraîneur de l’équipe américaine de basket. Jamais avare de critiques à l’encontre de Donald Trump, « Pop » s’en est pris en début de semaine au président américain, qui, après avoir insulté les footballeurs américains s’agenouillant pendant les hymnes d’avant-match en signe de protestation, a annulé la visite à la Maison Blanche des Golden State Warriors, champions NBA, n’appréciant pas l’attitude de leur star Stephen Curry.

Le meneur des Golden State Warriors avait pris position contre la traditionnelle rencontre avec le président, ne pensant pas qu’une telle visite « améliorerait miraculeusement la situation ». Celle qu’endure la communauté afro-américaine, régulièrement victime de violences policières, qui a fait resurgir ces dernières années la question des inégalités aux Etats-Unis. Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, de plus en plus de vedettes de la NBA (National Basketball Association) font entendre leur voix sur les questions de justice sociale, au premier rang desquels LeBron James. Les positions de Donald Trump n’ont fait qu’attiser leur colère.

[2016 ESPYs] Carmelo Anthony, Chris Paul, Dwyane Wade, & LeBron James opening segment.
Durée : 03:33

Aujourd’hui perçue comme la ligue sportive professionnelle américaine la plus progressiste − elle n’a pas hésité l’an passé à déplacer son All-Star Game hors de Caroline du Nord en raison de l’adoption par cet Etat américain de lois hostiles aux personnes transsexuelles −, la NBA a choisi d’accompagner ses joueurs sur ces enjeux « plus grands que le basket » (du nom d’un des projets développés). Tables rondes réunissant joueurs et policiers, accompagnement de projets visant à aider les communautés ou organisation de conférences autour de la question raciale dans le sport… la NBA a multiplié les initiatives.

Un poste de vice-président de la ligue dédié aux projets liés aux droits civiques a même été créé, en juin 2015. Son titulaire, Oris Stuart, disait en février dernier à NBC News être là pour « soutenir les joueurs qui portent un engagement fort et sur du long terme pour créer des communautés plus fortes et plus sûres ». A la différence de la NFL, qui a soutenu ses joueurs face aux insultes de Donald Trump mais n’a jamais pris position au sujet de leurs revendications, Colin Kaepernick en tête, la NBA s’investit.

Prendre la parole, mais pas pendant les hymnes

Mais pas pendant les hymnes. Vendredi, la ligue a rappelé, par l’entremise d’un mémo envoyé aux clubs, ses règles stipulant que « les joueurs, entraîneurs et le staff ont l’obligation d’être debout durant l’hymne américain, sous peine de sanction. » Et précisé qu’elle seule peut prendre des sanctions disciplinaires en cas de manquement à ces règles. Par ce rappel – la NFL n’a elle pas inscrit dans ses règles l’obligation d’être debout, juste une incitation à le faire – la NBA semble garder la main et vouloir éviter qu’une équipe sanctionne ses joueurs de son côté. Dans le même temps, le commissionnaire de la ligue, Adam Silver, incite les équipes à prendre la parole avant les matchs au sujet de la situation politique du pays.

« La NBA est progressiste pour dénoncer les sujets liés à la justice sociale, confirme le sociologue Joseph Cooper, spécialiste des questions raciales et sociétales dans le sport à l’université du Connecticut. Mais, vu le nombre de superstars noires qui ont pris position, c’est dans l’intérêt économique de la ligue de travailler avec elles, plutôt que d’essayer de les faire taire ». Le chercheur souligne une différence primordiale avec la NFL, qui peut expliquer l’écart entre le nombre d’athlètes prenant position dans chaque ligue : la sécurité de l’emploi. Les contrats sont plus courts en NFL qu’en NBA et « il y a bien moins de garanties pour les joueurs, qui sont moins susceptibles de secouer la société s’ils risquent leur gagne-pain ».

Même en NBA, le phénomène est relativement nouveau. Passée la lutte pour les droits civiques, portée par des figures comme Bill Russell ou Kareem Abdul-Jabar, les prises de position des basketteurs sont devenues plus rares. « Il y a eu une longue éclipse, qualifiée par certains de “néolibérale”, constate l’historien Nicolas Martin-Breteau, spécialiste d’histoire africaine-américaine. En axant le sport sur le spectacle, la consommation et la rentabilité économique, on a mis au second plan, voire étouffé complètement, les enjeux politiques du sport. »

LeBron James de plus en plus investi

La génération de Michael Jordan − première icône planétaire du basket, qui aurait pu s’il l’avait voulu faire entendre sa voix comme aucun sportif avant lui − est restée silencieuse, notamment pendant les émeutes raciales de Los Angeles en 1992. Une tiédeur politique revendiquée par Jordan, à qui fut attribuée cette formule apocryphe : « Les républicains aussi achètent des baskets. »

Les réseaux sociaux, qui offrent aux sportifs de nouvelles plates-formes d’expression, ont permis aux joueurs de ramener la question des inégalités raciales dans le débat public. De même que l’affirmation de la conscience politique de LeBron James, de plus en plus investi au fur et à mesure qu’il s’établissait comme la figure de proue de la NBA. Dès 2012, il a été à l’initiative d’un communiqué des joueurs appelant à l’arrestation de George Zimmerman, qui avait tué un adolescent noir, Trayvon Martin, lors d’une ronde de surveillance nocturne. Cette semaine, il fut l’un des joueurs les plus offensifs vis-à-vis de Donald Trump, se montrant volontiers moqueur du président américain.

« La race, c’est le gros non-dit », a insisté Gregg Popovich lundi, estimant que la question des privilèges des Blancs devrait être davantage mise sur le tapis dans la société américaine. « A moins qu’on en parle constamment, rien ne va s’améliorer », a martelé le coach de Tony Parker. Un discours qu’applaudit le sociologue Joseph Cooper, très critique des propriétaires de la NFL qui ont défendu la liberté d’expression de leurs joueurs mais se sont gardés de se prononcer sur « les causes spécifiques d’injustice sociale dénoncée par Colin Kaepernick ».

Comme son homologue des Spurs, Steve Kerr, l’entraîneur des Warriors, a insisté cette semaine sur la nécessité de « ne pas diviser le pays ». Dans une tribune publiée sur Sport Illustrated, le septuple champion NBA (cinq en tant que joueur, deux comme entraîneur) a rappelé avoir « eu la chance de rencontrer les présidents Reagan, Bush, Clinton et Obama », notamment lors des réceptions des champions NBA à la Maison Blanche. « Je n’étais pas d’accord avec tous, écrit-il, mais il était aisé de mettre la politique de côté parce que chacun d’entre eux avait un respect inhérent pour la fonction. » La reprise de la saison de NBA, le 17 octobre, pourrait être l’occasion de nouvelles manifestations d’opposition au président américain sur les parquets.