Alger durcit sa politique envers les migrants subsahariens
Alger durcit sa politique envers les migrants subsahariens
Par Zahra Chenaoui (Alger, correspondance)
Tolérés par l’administration depuis 2012, les travailleurs d’Afrique de l’Ouest sont désormais la cible d’opérations de police et d’expulsions.
« Dans la soirée, la gendarmerie est arrivée avec des bus. Ils ont arrêté tous ceux qui se trouvaient dehors. On a couru aussi vite qu’on pouvait, mais mon cousin a été pris. Je n’ai plus aucune nouvelle. » Abderrahmane, un jeune Guinéen, vivait dans le quartier de Draria, en banlieue sud d’Alger. Arrivé en Algérie au début de l’été, il tentait chaque matin de trouver du travail à la journée dans le bâtiment en se postant sur le bord de la route et attendre un potentiel employeur. La caserne de gendarmerie n’est qu’à quelques kilomètres, mais il n’avait jamais été contrôlé.
Vendredi 22 septembre, la gendarmerie algérienne a rompu ce statu quo et procédé à une série d’arrestations de migrants subsahariens dans la capitale. Aboubacar, un Malien d’une vingtaine d’années joint par téléphone, raconte avoir été interpellé sur son lieu de travail : « En fin de journée, les gendarmes sont entrés sur le chantier. Ils ont saisi mon argent, mes papiers, puis m’ont fait monter dans le bus. Là, nous avons pris la direction du camp. » Ce jour-là, les forces de sécurité arrêtent entre 50 et 90 migrants de plusieurs nationalités d’Afrique de l’Ouest sur des chantiers, dans la rue ou dans des maisons de différents quartiers de la capitale, selon les récits des personnes interpellées.
Direction Tamanrasset
Emmenés dans le camp de colonie de vacances de Zéralda, en banlieue ouest d’Alger, les migrants sont alors réunis avec plusieurs centaines d’autres, dont des Nigériens qui font partie de filières organisées de mendicité, et rassemblés dans des bus : direction le sud du pays. Détenus dans des préfabriqués dans la ville de Tamanrasset, à 2 000 km au sud de la capitale, pendant plusieurs jours, ils sont emmenés de l’autre côté de la frontière, jeudi 28 septembre, dans la nuit.
Un transporteur, qui travaille entre le nord du Mali, le nord du Niger et le sud de l’Algérie, confirme avoir vu passer un convoi de quatre semi-remorques de marque Man, des véhicules utilisés par l’armée algérienne, près d’Assamaka, dans le nord du Niger. Les semi-remorques, sur lesquels avaient été fixées de grandes grilles, transportaient bien des migrants et étaient entourés par des militaires algériens. Les migrants arrêtés, qui affirment avoir été relâchés « dans le désert », ont fini par arriver à Agadez, au Niger.
Depuis l’expulsion de plus d’un millier de migrants subsahariens au mois de décembre 2016, Alger semble avoir durci sa politique migratoire, mais en toute discrétion. Ainsi, lors de la dernière semaine du mois d’août, le convoi, qui rapatriait les migrants nigériens, incluait aussi treize migrants d’autres nationalités, selon les autorités nigériennes.
Car, si depuis 2014, Alger a rapatrié, en accord avec Niamey, plus de 18 000 migrants nigériens, elle avait suspendu les expulsions des autres nationalités depuis 2012. Or plusieurs opérations de police et de gendarmerie ont spécifiquement visé des migrants subsahariens sur des chantiers pendant le mois de septembre dans la capitale.
« Un fichier national »
Selon les associations, il y a en Algérie environ 100 000 migrants subsahariens. La présence de ces derniers était jusqu’à maintenant tolérée. Arrêté pour « entrée illégale » sur le territoire, un migrant pouvait être condamné à deux mois de prison, mais la décision de reconduite à la frontière n’était pas appliquée.
Après une mystérieuse campagne xénophobe apparue en juin sur les réseaux sociaux et intitulée « Non aux Africains en Algérie », le ministre de l’intérieur, Nourredine Bedoui, avait annoncé qu’un « fichier national pour recenser le nombre de migrants africains » était en cours de création. Ce fichier devait permettre, selon les déclarations du ministre, de régulariser certains migrants qui travaillent dans les secteurs où la main-d’œuvre manque, et d’en expulser d’autres.
Cet été, plusieurs déclarations de responsables politiques ont créé l’émoi.Début juillet, l’actuel premier ministre – qui n’avait pas encore été nommé à ce poste – Ahmed Ouyahia avait déclaré que les migrants étaient « une source de criminalité, de drogue et de plusieurs autres fléaux ». Quelques jours plus tard, le ministre des affaires étrangères, Abdelkader Messahel, estimait que les migrants subsahariens constituaient « une menace pour la sécurité » du pays.
La semaine dernière, les autorités de la région de Mostaganem (nord-ouest) ont annoncé que, « suite à une instruction ministérielle », les entreprises de transport privées, taxis et minibus avaient interdiction de transporter des personnes en situation irrégulière, sous peine de perdre leur autorisation de travail. La presse, comme certaines organisations des droits humains, a dénoncé une instruction « raciste » qui vise spécifiquement les personnes à la peau noire.