Chérie, j’ai rétréci les consoles de jeux vidéo !
Chérie, j’ai rétréci les consoles de jeux vidéo !
Par William Audureau
SNES Mini, Mega Drive Classic ou encore THEC64… Les machines rétro sortent de leur niche, depuis que Nintendo a montré qu’elles pouvaient éclipser les plus récentes.
Il y a des coïncidences qui ne trompent pas. Vendredi 29 septembre, Nintendo lançait sa très attendue Super NES Mini, réédition miniaturisée et 21-jeux-en-1 de sa console phare du début des années 1990, la Super Nintendo. Le même jour, l’éditeur Koch Media levait le voile sur THEC64 Mini, hommage cette fois à l’un des ordinateurs britanniques les plus influents des années 1980, le Commodore 64 (C64).
Le retrogaming, la mode des jeux vidéo basés sur les codes d’antan, connaissait déjà une vitalité sans pareille depuis une dizaine d’années – il a même accouché de titres développés « à l’ancienne », comme Megaman 9, ou développés avec les contraintes des consoles 16-bits (Axiom Verge, Sonic Mania), 8-bits (Shovel Knight) voire monochromes (Tasukete Tako-san).
Mais depuis la NES Mini de Nintendo fin 2016, c’est désormais un nouveau type de produit qui est à la mode : la machine tout-en-un, sorte de boîte à voyager dans le temps équipée d’une précieuse prise HDMI pour relier les trésors d’antan aux téléviseurs actuels.
Un marché de niche depuis 13 ans
Dans l’absolu, Nintendo n’est pas le pionnier. « Ironiquement, notre équipe conçoit des produits rétro depuis bien plus longtemps qu’eux », souligne Paul Andrews, de Retro Games Ltd, à l’origine du THEC64 Mini. Avant même la création de l’entreprise, ses membres avaient déjà produit des jeux C64 sur Wii ainsi que le ZX Spectrum Vega, un autre remake d’ordinateur britannique, sorti en 2015.
L’Atari Flashback est apparue pour la première fois en 2004. Elle est la pionnière des rééditions de console, mais son succès est resté confidentiel en France. / AT Games
Et ils ne sont pas les seuls. En 2014 déjà, une ColecoVision FlashBack, reprenant elle aussi le catalogue, le design et le nom d’une machine américaine de 1982, avait vu le jour équipée de 60 jeux. Il en va de même de modèles sous marque Atari et Sega. La première Atari Flashback – de forme standard et de connectique à l’ancienne – date même de 2004.
Just for Games, une société française experte en fond de catalogue, a aujourd’hui une page entière dédiée aux consoles rétro. Parmi celles-ci, certaines font tourner les cartouches d’antan sans en avoir la marque, comme les Hyperkin, d’une qualité parfois très douteuse. Les autres sont pour la plupart éditées par AT Games, société californienne spécialisée dans le commerce de remakes de consoles du passé.
Interrogé par le site spécialisé américain Game Tyrant, Ray Attiyat, coordinateur marketing d’AT Games, relativise lui aussi la nouveauté de ce type de machines.
« Nous sommes dans le marché du retrogaming depuis plus de dix ans déjà, probablement douze ou treize. Nous faisons les consoles Sega et Atari depuis longtemps, donc il n’y a rien de neuf cette année. C’est la routine. »
Des entreprises comme Just For Games se sont spécialisées dans la vente de consoles rétro. / Captures d'écran
Le succès surprise de la NES Mini
La nouveauté, c’est qu’avec la NES Mini, ce marché parallèle est sorti de sa niche pour prendre des proportions inédites. A sa sortie en France fin 2016, cette réédition de la console la plus vendue des années 1980 s’est retrouvée produit le plus demandé de l’année dans la catégorie « jeu vidéo » sur Amazon.fr, et 10e meilleure vente de l’année, malgré une rupture de stock quasi immédiate. Un succès improbable pour une plateforme vieille de plus de 30 ans.
La NES Mini est le produit qui a fait sortir les consoles rétro de leur niche. / Nintendo
« Le retrogaming mobilise indéniablement les ventes. On a vendu 84 000 NES Mini en France. On en a certainement raté pas mal, on a été un peu petit bras sur cette proposition-là. On aurait pu en vendre 100 000 pièces », estimait Philippe Avoué, directeur général de Nintendo France, en mars dernier.
La NES Mini a été le quatrième meilleur lancement historique pour une console en France, derrière la Switch (105 000 unités en un weekend), la Wii (95 000) et la PlayStation 4 (90 000) – bien aidée par le facteur nostalgie, la trentaine de jeux inclus et un prix riquiqui (60 euros).
Depuis, le célèbre constructeur japonais a non seulement lancé sa petite sœur, la Super NES Mini, consacrée à la console qui avait remplacé la NES dans les années 1990, mais également promis un réachalandage massif en 2018 sur les deux modèles, tout en précisant que ceux-ci n’avaient pas vocation à être des produits « permanents ».
Deux standards de qualité
La différence de succès entre les rééditions de Nintendo et des autres constructeurs tient peut-être à la différence de standard de qualité. D’un côté, la Mega Drive Classic d’AT Games, fabriquée par le chinois Shenzhen Swanky Technology, se montre d’une finition très bas de gamme. Indice d’une production moins bien calibrée, parmi les 80 jeux intégrés sur la Mega Drive Classic, certains sont en portugais, et signés Tec Toy, entreprise auriverde qui se charge de vendre et rééditer la console depuis vingt ans au Brésil, souvent enrichie de jeux mineurs développés à bas coût.
La Mega Drive d’AT Games ne respecte pas le design de la Mega Drive, et ses manettes réagissent différemment. / AT Games
« Nous avons beaucoup appris de nos précédentes machines. La version de cette année est toute nouvelle à tous points de vue. Nouveaux composants, nouveau logiciel, nouveau design, etc. Elle fonctionnera et sonnera exactement comme vous vous y attendez », assure Ray Attiyat au Monde – ce que n’a pas constaté Pixels en essayant la dernière version de la console sortie en septembre.
A l’opposé, Nintendo n’a jamais été pris à défaut sur la finition et la fidélité de ses madeleines de Proust virtuelles – grâce notamment à un important contrôle de qualité et les prouesses d’émulation de sa structure parisienne Nintendo European Research & Development. Allant jusqu’à intégrer à la SNES Mini Star Fox 2, un jeu annulé en 1996.
Des « feel good consoles »
Si la qualité n’est pas toujours exigée, c’est que la dimension affective prime souvent dans l’achat. « Ce sont des “feel good consoles” », estime Thomas Grellier, cofondateur de l’EMIC, école de management des industries créatives :
« Ce sont des consoles peu chères, on y joue avec les enfants, ça plaît même à ceux qui n’aiment pas le jeu vidéo. C’est cool, comme la relance du Polaroid ou le vinyle. On est dans du marketing de la nostalgie, une tendance de fond du marché depuis plusieurs années. »
« Les nouveaux jeux n’arrivent pas à vous prendre par les sentiments comme le font les anciens », estime de son côté Ray Attiyat, d’AT games :
« Et quand des gens de notre âge fondent une famille […], c’est quelque chose auquel vous pouvez jouer avec vos enfants, ce n’est pas violent, c’est facile, c’est amusant. Les gens se mettent à partager avec eux, en leur disant : “tu vois, c’est à ça que ressemblaient les jeux quand j’avais ton âge”. »
Une des nombreuses rééditions – bas de gamme – de la Mega Drive par AT Games. / AT Games
La NES fut l’une des consoles reines : près d’1,8 million de ventes en France, contre 970 000 Master System et seulement 300 000 Atari VCS en leur temps, expliquant sans doute son succès. Quid des autres machines ? AT Games n’a pas souhaité communiquer les chiffres de ses rééditions des machines Atari et Sega. Mais si l’on en croit les niveaux de réservation sur les sites d’e-commerce, ils sont très inférieurs à ceux des machines Nintendo, mais suffisants pour que l’entreprise continue de les ressortir depuis plus de dix ans.
L’hypothèse d’une PlayStation Mini
Les joueurs nostalgiques guettent désormais l’arrivée d’autres acteurs cultes de l’industrie. Et pourquoi pas l’entrée en lice des deux autres constructeurs majeurs, Microsoft et surtout Sony ? Tandis qu’internautes et médias dissertent déjà sur le catalogue d’une très hypothétique PlayStation Mini, certains ont même conçu leur propre modèle réduit de la PS1, en utilisant un nano-ordinateur Rasberry Pi.
Playstation One Mini : Homemade Raspberry Pi 0 custom case - Cheap 3D printing vs SLA printing
Durée : 18:33
Rien d’officiel évidemment. Avec Kinect et le PS Move, réponses respectives des deux constructeurs, en 2010, à la manette à reconnaissance de mouvement lancée pour la Wii en 2006, Microsoft et Sony ont déjà montré qu’ils pouvaient prendre la roue de Nintendo sur des produits innovants. Mais cela ne devrait pas être le cas cette fois, pronostique Thomas Grellier :
« Je vois mal Sony être suiveur sur ce marché. Ils sont leaders et ne sont donc pas en position de suivre ce que font les autres ; ils ont intégré au PlayStation Network cette demande de retrogaming. »
A l’image de Final Fantasy IX, jeu de rôle de 2000 récemment ressorti sur PlayStation 4, ou du remake du Crash Bandicoot de 1996, qui a caracolé en tête des ventes tout l’été.
« Le premier d’une série de produits de ce type »
En attendant, les acteurs déjà en place fourbissent leurs roms. En fin d’année, AT Games rééditera à nouveau l’Atari 2600, avec 50 classiques (Arkanoid, Breakout, Centipede…) pour une trentaine d’euros. Dans le même temps, une seconde mouture de la Mega Drive Classic, haute définition, doit sortir en novembre, toujours chez AT Games.
Le C64 Mini sortira début 2018 à 80 euros. / Koch Media
« THEC64 mini est le premier d’une série de produits de ce type que nous comptons proposer ! », prévient dans un communiqué Paul Andrews, directeur général de Retro Games. « Atari a annoncé une console hybride, ce ne serait pas une surprise de voir arriver un Atari 520 ou un Amiga ST, » continue Thomas Grellier.
De son côté, Nintendo aurait tort de ne pas réitérer l’opération les années futures. La suite s’annonce toutefois moins prévisible, entre une hypothétique Game Boy Mini dont on voit mal ce qu’elle pourrait miniaturiser, ou une Nintendo 64 Mini à fort potentiel, mais qui se heurterait à des problèmes de droits : plusieurs de ses classiques, comme GoldenEye, Banjo & Kazooie et Perfect Dark, appartiennent aujourd’hui à Microsoft. A moins que Nintendo ne cherche à surprendre encore une fois.