TV : « Le Ruban blanc », l’innocence damnée
TV : « Le Ruban blanc », l’innocence damnée
Par Thomas Sotinel
Notre choix du soir. En 2009, Michael Haneke recevait la Palme d’or à Cannes pour un film qui tient son titre d’une punition (sur Ciné+ Emotion à 20 h 45).
Le Ruban Blanc - Bande Annonce
Durée : 01:45
Ce ruban blanc ceint le bras des enfants d’un pasteur d’Allemagne du Nord, qui force ses enfants à le porter afin qu’ils se souviennent de la distance qui les sépare de la pureté qu’exige la religion chrétienne. Grand explorateur des ambivalences de l’âme humaine, Michael Haneke a reçu en 2009, à Cannes, l’une des plus hautes récompenses du cinéma pour un film qui tient son titre d’une punition.
Ces enfants blonds au visage indéchiffrable sont le centre mystérieux du film de Haneke, des particules indéfinies autour desquelles se meuvent des corps plus grands, ceux des adultes, et les corps constitués de la société : l’Eglise, la noblesse, l’école, la médecine, la police.
Le cinéaste autrichien aime à se comporter en scientifique, manifestant pour ses sujets le même intérêt dépassionné qu’un naturaliste pour des amibes. Le Ruban blanc se distingue pourtant de ses terribles expériences de laboratoire, dont la plus traumatisante reste Funny Games (1997), par la puissance de la fiction.
Leonard Proxauf dans « Le Ruban blanc », de Michael Haneke. / LES FILMS DU LOSANGE/CINÉ+ ÉMOTION
Michael Haneke a écrit cette histoire qui court sur un an, de l’été 1913 aux premiers jours de la première guerre mondiale, et a laissé se développer un récit qui dessine les personnages, les précipite les uns contre les autres, avant de se dissoudre dans la catastrophe finale. Ce mouvement fait que Le Ruban blanc, sans jamais déroger au pessimisme de son auteur, suscite à sa vision un plaisir d’autant plus vif qu’il est inattendu de la part du réalisateur de 71 Fragments d’une chronologie du hasard (1994).
Beauté austère
Pendant le générique, sous le titre se sont inscrits des caractères indéchiffrables pour le commun des mortels. « Eine deutsche Kindergeschichte » (« Une histoire d’enfants allemande »), écrit en cursive Sütterlin, graphie enseignée aux écoliers allemands jusqu’en 1941, expression de la pédagogie traditionnelle.
Hors du champ, la voix d’un vieillard commence à raconter cette histoire allemande (qui n’est donc pas celle de Haneke, autrichien). Il parle longtemps après les faits, après la guerre, sans doute après la prise du pouvoir par les nazis et leur chute.
Cette voix est celle de l’un des personnages, le jeune instituteur qui enseigne les rudiments du savoir aux fils des notables et des paysans du village. Les enfants du baron, maître temporel de la petite collectivité, ont été confiés aux soins d’un précepteur. Et voilà que de petits crimes sont commis : le docteur fait une grave chute de cheval parce qu’on a tendu une corde sur son chemin, le fils du baron est molesté… La mise en scène de Haneke d’abord, puis le scénario orientent les soupçons vers une bande d’enfants sages dirigée par la progéniture du pasteur.
Le Ruban Blanc (Extrait 1)
Durée : 01:59
Cette enquête, d’abord menée par l’instituteur, puis, au fur et à mesure que les transgressions se font plus violentes, par la police, n’aboutira pas vraiment. La curiosité, l’incertitude ne sont excitées que pour mieux faire voir ce qui intéresse vraiment Michael Haneke. Il pénètre dans toutes les cellules (au sens organique comme au sens carcéral du terme) de ce petit village (les familles du pasteur, du baron, du docteur, d’un paysan en conflit avec le hobereau, etc.) pour mettre en scène le mal que font les hommes aux femmes et surtout les adultes aux enfants.
La brutalité du régisseur qui roue son fils de coups ou le rigorisme du pasteur tendent dans la même direction, la suppression des désirs et de la volonté, la soumission à l’ordre, familial, social, religieux. C’est un spectacle pénible auquel Haneke confère une beauté austère.
Sorte de préface aux horreurs du XXe siècle
Il a tourné son film en noir et blanc. Ce choix accentue la distance dans le temps, marque l’étouffement des pulsions et des sentiments. La reconstitution historique, impeccable, va dans la même direction, mettant en scène l’inconfort de la vie quotidienne (jusque dans le triste château du baron), la laideur des architectures et des mobiliers (l’Eglise vers laquelle convergent les habitants à chaque crise est massive, oppressante, une espèce de blockhaus de la foi).
Les acteurs contribuent à ce travail en ne laissant passer que les émotions les plus délétères (Burghart Klaussner, qui joue le pasteur, est particulièrement impressionnant à force d’aveuglement délibéré), à l’exception notable du jeune instituteur et de quelques-uns des enfants.
Le Ruban Blanc (Extrait 3)
Durée : 02:00
Plus Le Ruban blanc avance, plus les affrontements prennent un tour violent – le pire d’entre eux met aux prises le docteur et sa gouvernante, il ne passe que par les mots, il est presque insupportable. Mais, en même temps, ils se font de plus en plus dérisoires puisque l’on sait qu’à partir de l’été suivant des millions d’Européens, et par conséquent des dizaines d’hommes du village, vont mourir à la guerre. Plus qu’une prophétie a posteriori sur le nazisme dont il aurait montré les prémices, Le Ruban blanc, film terrible et pourtant élégant, apparaît comme une espèce de préface aux horreurs de tout le XXe siècle.
Le Ruban blanc, de Michael Haneke. Avec Ulrich Tukur, Burghart Klaussner, Christian Friedel, Rainer Bock (Aut.-All.-Fr., 2009, 144 min).