« Le Pacte de la mer » : quand le cinéaste Satochi Kon coiffait sa casquette de mangaka
« Le Pacte de la mer » : quand le cinéaste Satochi Kon coiffait sa casquette de mangaka
Par Pauline Croquet
Ce manga-fable sur les tensions entre tradition et modernisation est l’une des premières œuvres du maître de l’animation japonaise, disparu en 2010.
Satoshi Kon "Le Pacte de la mer"
De Satochi Kon, on connaît surtout ses inoubliables réalisations dans le cinéma d’animation japonais. Son premier film Perfect blue, une pépite de thriller torturé, mais aussi le long-métrage de SF Paprika l’ont hissé au rang des plus grands cinéastes du genre. Ce maître, mort en 2010, a pourtant fait ses débuts comme mangaka. Publié et primé dès son premier récit, alors qu’il est encore étudiant aux Beaux-arts, il deviendra par la suite assistant et disciple de Katsuhiro Otomo, le créateur d’Akira. Une double carrière talentueuse qu’il concevait comme « un tout aussi indissociable que deux sandales ».
En rééditant en France Kaikisen, traduit en Pacte de la mer, Pika donne à (re) découvrir le premier long récit de Satochi Kon, écrit et dessiné en 1990. Si le dessin manque parfois un peu de maturité, et a donné beaucoup de fil à retordre au jeune mangaka - il parle d’un « véritable tsunami » qui lui a permis de réaliser « l’immaturité de [s] on trait » -, le propos esquissé dans cette fable contemporaine reste très actuel.
Le Pacte de la mer décrit le schisme entre défenseurs de la tradition et partisans de la modernité, dans une petite ville de pêcheurs. Les progrès techniques réalisés par le monde rural constituent une thématique classique du XXe siècle qui résonne encore aujourd’hui avec les réflexions sur l’avenir et les ressources de la planète. À Amide, bourgade théâtre de l’histoire, des promoteurs cherchent à bétonner le littoral avec la complicité de certains habitants qui y voient le seul moyen de ne pas laisser le village mourir. Sur les plages d’Amide, c’est aussi la jeunesse campagnarde qui se raconte, entre ceux qui s’enfuient vers la ville pour réussir leur vie et les autres, acculés par le poids de l’héritage familial.
Mais l’ouvrage rend également hommage à la puissance de la nature en donnant à l’océan, un rôle déterminant dans l’intrigue. Rien d’étonnant quand on sait combien le respect pour les éléments est ancré dans la philosophie japonaise. Ici, tout part d’une légende qui raconte que les habitants d’Amide auraient passé un pacte avec les sirènes : les créatures leur assureront bonnes pêches et prospérité si les humains prennent soin d’un de leurs œufs.
La légende est-elle vraie ? Quelle importance ? N’est-elle pas un moyen supplémentaire d’en faire un site touristique ? Autant de questions qui vont syncoper un récit plutôt tourné vers la langueur des journées à la campagne.
Le Pacte de la mer / © Satoshi Kon / © Satoshi Kon
Comme à chaque fois dans ses œuvres, Satochi Kon cultive avec délice le flou entre fiction et réalité. Entre imaginaire et folie. La découpe très cinématographique de certains passages ainsi que l’enchaînement rythmé des plans laissent aussi entrevoir quel réalisateur de talent pouvait être le cinéaste, disparu d’un cancer à l’âge de 46 ans.
Le Pacte de la mer, de Satochi Kon, collection Pika Graphic, 224 pages, 15 €.
Le Pacte de la mer / © Satoshi Kon / © Satoshi Kon