Richard Ferrand,lors de sa campagne pour les législatives, à Motreff (Finistère), le 11 juin. / FRED TANNEAU, FRED TANNEAU / AFP

Editorial du « Monde ». Le parquet de Brest a tranché, sans ambiguïté. En classant sans suite l’enquête visant Richard Ferrand dans l’« affaire » des Mutuelles de Bretagne, il a levé, vendredi 13 octobre, la menace judiciaire qui planait sur le chef de file des députés La République en marche, depuis les premières informations du Canard enchaîné en mai 2017, suivies par celles du Monde. La justice lève du même coup l’hypothèque qui pesait sur la carrière politique de l’éphémère ministre de la cohésion territoriale.

Les magistrats ont estimé que « les infractions d’abus de confiance et d’escroquerie ne sont pas constituées, faute d’un préjudice avéré » et que, concernant l’éventuelle prise illégale d’intérêts, les faits sont prescrits. L’enquête portait sur le rôle joué en 2011 par M. Ferrand, alors directeur des Mutuelles de Bretagne, dans le choix de louer des locaux pour loger les activités du groupe – ceux-ci appartenant à une SCI créée par sa compagne. Elle s’était ensuite élargie aux contrats signés par des proches du futur député (sa compagne et son ex-épouse), en échange de diverses prestations rémunérées par les Mutuelles.

Après examen, la justice a dit qu’il n’y avait rien de répréhensible dans une partie de l’affaire et qu’elle était dans l’incapacité, pour cause de prescription, de se prononcer sur le reste. « Le classement du dossier Ferrand doit faire l’objet d’une couverture médiatique égale à celle du début de l’affaire », a réagi Arnaud Leroy, l’un des trois dirigeants du parti La République en marche, anticipant sur l’usage supposé qui veut qu’une mise en cause fasse la « une » et la mise hors de cause une simple brève. M. Ferrand a évoqué dans sa première réaction publique, au Figaro, « les unesde certains journaux, les commentaires infamants et calomnieux ».

Confusion des rôles

L’« affaire » Ferrand rejoint d’autres enquêtes de la presse qui ont abouti à un classement sans suite ou à un non-lieu, parmi lesquelles la plus célèbre restera l’affaire de la MNEF, dans laquelle, après avoir dû démissionner de son poste de ministre de l’économie et des finances, Dominique Strauss-Kahn avait été blanchi. A chaque fois, un homme ou une femme se trouve en pleine tourmente médiatique, et la question de la légitimité de ces révélations est posée aux journalistes. Elle l’est de nouveau aujourd’hui, ce qui est normal.

Fallait-il enquêter sur M. Ferrand ? Porter à la connaissance du public des faits nourrissant le soupçon, comme nous l’avions écrit à l’époque, de « mélange des genres » entre ses activités publiques et ses intérêts privés ? La réponse demeure : oui. Parce que la question des conflits d’intérêts est centrale dans notre vie publique. Parce que l’un des rôles de la presse est d’éclairer sur les acteurs de cette vie publique.

Juger de la pertinence d’informations de presse à l’aune unique de leurs conséquences judiciaires, c’est entretenir une confusion entre le rôle du journaliste et la fonction du magistrat. Les faits rapportés par les médias, dont Le Monde, doublés d’une plainte de l’association Anticor, ont été considérés comme suffisamment sérieux par le parquet pour justifier une enquête. A l’issue de celle-ci, la réponse de la justice est nette : pas d’infraction pénale ou prescription.

Que des informations de presse débouchent sur des enquêtes judiciaires est sain. Que la justice décide à l’abri de toute pression médiatique ou politique est nécessaire. Le rôle de chacun est garanti, la démocratie fonctionne.