« La Belle et la meute » : le calvaire bureaucratique d’une victime de viol
« La Belle et la meute » : le calvaire bureaucratique d’une victime de viol
Par Mathieu Macheret
Inspiré d’un fait divers ayant défrayé la chronique tunisienne, la cinéaste Kaouther Ben Hania signe un thriller porté par une comédienne remarquable.
Ce quatrième long-métrage de la réalisatrice Kaouther Ben Hania (Le Challat de Tunis, 2014) s’inspire d’un fait divers de 2012 ayant défrayé la chronique tunisienne, relaté dans l’ouvrage Coupable d’avoir été violée, de Meriem Ben Mohamed (pseudonyme de celle qui en fut la victime). Au cours d’un rendez-vous amoureux sur une plage de Tunis, une jeune femme fut interpellée par un groupe de policiers qui l’ont entraînée dans leur voiture de service, puis violée. Sa plainte déposée devant la justice, elle s’est vue accusée en retour d’atteinte aux bonnes mœurs et comportement immoral, situation aberrante qui accusait l’archaïsme des institutions, ainsi qu’un déni plus général, partagé par l’ensemble du corps social et relayé par l’opinion publique.
Course haletante contre une bureaucratie patriarcale
Le film de Kaouther Ben Hania retrace librement les événements de la nuit fatidique, par une succession de blocs de temps qui déclinent par à-coups le calvaire de son héroïne, Mariam, jeune tunisienne coquette et gironde. Un calvaire qui ne concerne ici pas tant le viol, pudiquement escamoté par une ellipse, que la longue lutte de Mariam, contre une administration hospitalière et policière qui fait la sourde oreille, tente par tous les moyens d’étouffer sa plainte et retourne l’accusation contre elle. Dans cette course haletante contre une bureaucratie patriarcale, aussi partiale que corrompue, le film évoque autant un certain cinéma d’auteur roumain (La Mort de Dante Lazarescu, de Cristi Puiu, 2005), qu’une sorte de survivor social aux accents horrifiques (les agresseurs sont susceptibles de surgir à chaque coin de rue). Le dialogue insiste même sur ce dernier point, en comparant la société tunisienne à un film de zombies.
La Belle et la meute repose sur un détail frappant : la robe que revêt Mariam pour faire la fête, mais dont l’échancrure se referme sur elle comme un piège, l’exposant dans la rue à la vue et aux reproches de tous. En bon film à thèse, celui-ci emploie un dispositif coup-de-poing - plans-séquences et chapitrage numéroté - pour plier sa démonstration aux dimensions de son message : l’espace public est confisqué par les hommes, s’avérant autant de prédateurs en puissance pour les femmes qui osent s’y montrer. Son caractère implacable joue peut-être au détriment de la complexité des personnages, réduits parfois au statut de porte-étendards ou de symptômes. Mais la prestation haletante et sur la corde raide de la remarquable Mariam Al Ferjani, dans un rôle particulièrement difficile, conjure le martyre que la mise en scène lui impose d’endosser.
Film tunisien, français, suédois, norvégien, libanais, qatari et suisse de Kaouther Ben Hania. Avec Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli, Noomane Hamda, Mohamed Akkari (1 h 40). Sur le web : www.jour2fete.com, www.facebook.com/labelleetlameute