« Laissez bronzer les cadavres » : fusillade homérique et nostalgie cinéphilique
« Laissez bronzer les cadavres » : fusillade homérique et nostalgie cinéphilique
Par Mathieu Macheret
Le duo Hélène Cattet-Bruno Foorzani adapte un roman noir de Jean-Patrick Manchette en abusant de références et d’effets de réalisation.
Le duo de cinéastes formé par Hélène Cattet et Bruno Forzani (Amer, L’Étrange couleur des larmes de ton corps), français d’origine mais bruxellois d’adoption, revient pour un troisième long-métrage adapté du premier roman de Jean-Patrick Manchette (coécrit avec Jean-Pierre Bastid), écrivain de Série Noire proche du situationnisme et père du « néo-polar ». Le texte, sorte de parodie de western incisive, semble offrir un terrain idéal au maniérisme débridé du couple, comme à son approche ultra-référencée de la mise en scène, recyclant certains sous-genres du cinéma populaire italien des années 1960-1970 – hier le « giallo » (thriller horrifique), aujourd’hui le « western spaghetti ».
Dans les vestiges d’une bastide abandonnée, reconvertie en atelier de création à ciel ouvert, Luce (Elina Löwensohn) se livre à des agapes sous forme de performances artistiques. Des braqueurs en cavale, en possession d’un gros magot, viennent se planquer avec leurs otages entre les murs de la villa. Quand les policiers débarquent, le lieu devient le théâtre d’un affrontement minuté et millimétré entre les acteurs en présence, sous le regard stoïque de Luce, qui surplombe avec dédain la fusillade homérique.
Ivre de sa propre virtuosité
Très gros plans, contre-plongées vertigineuses, tâches colorées, compositions millimétrées, actions simultanées, diffraction des points de vue, montage tranchant... L’écriture de Manchette, imbibée de cinéphilie (il fut scénariste et critique de films), est d’abord servie par une mise en scène puisant dans les films de Sergio Leone ses motifs de fixation iconique et de recul réflexif. Mais en dépit de sa séduction formelle, difficile de nier que la maestria ébouriffante de Cattet-Forzani se retourne contre elle-même. À force d’accumuler les plans surconstruits, Laissez bronzer… apparaît vite comme un objet autiste, refermé sur lui-même, ivre de sa propre virtuosité et n’entretenant avec le monde extérieur qu’un rapport référentiel (c’est-à-dire commandé par des images préexistantes).
Le travail de Cattet-Forzani se résout sans doute dans cette image de viande putréfiée, qui fait plusieurs fois retour au cours du récit ; un travail fleurissant en somme sur le cadavre d’une iconographie défunte, réanimée pour l’occasion. Cette forme de nécro-cinéphilie pourrait convaincre, si elle ne consistait à transformer en « effet d’art » un bouillonnement d’inventivité provenu jadis du tout-venant du cinéma populaire.
Film français d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Avec Elina Löwensohn, Stéphane Ferrara, Bernie Bonvoisin, Michelangelo Marchese, Marc Barbé (1 h 30). Sur le web : www.facebook.com/laissezbronzer, www.shellac-altern.org