Emmanuel Macron, aux Eparges (Meuse), le 6 novembre. / Jean-Claude Coutausse / French-Politics pour «Le Monde»

Chronique. La grande histoire bien sûr, mais d’abord le quotidien. Lancé depuis dimanche 4 novembre dans « une itinérance mémorielle » destinée à célébrer la fin de la guerre de 14-18, Emmanuel Macron a dû, une nouvelle fois, intervenir, mardi, sur un sujet plus prosaïque : la flambée des prix de l’essence et la fronde des « gilets jaunes » qui appellent sur les réseaux sociaux à bloquer le pays le 17 novembre.

Sur Europe 1, le président de la République a dit « comprendre la colère » de deux catégories de Français : « les gens modestes » qui éprouvent des difficultés à se chauffer, et les automobilistes qui n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture pour aller travailler. Le chèque-énergie devrait donc être amélioré et un nouveau dispositif mis au point « en liaison avec les collectivités locales et les employeurs » pour aboutir à une sorte d’indemnité kilométrique.

Le tout reste cependant très flou car le chef de l’Etat a été pris de court. Alerté depuis la fin de l’été par plusieurs députés de La République en marche, l’Elysée est d’abord resté de marbre, s’en tenant aux principes de sa politique – alléger la fiscalité sur le travail, renchérir celle sur le carbone – avant de réaliser qu’il lui fallait impérativement bouger pour empêcher le blocage du pays et une cristallisation mortifère, la coupure entre l’élite et le peuple, le gouvernement et les milieux populaires.

La France des oubliés

Les principales victimes de la hausse du diesel (+ 23 % en un an avec une nouvelle hausse possible des taxes de 6,5 centimes par litre) sont des ruraux à faible pouvoir d’achat à qui l’Etat a fait croire pendant des années qu’en achetant un véhicule diesel, ils feraient un bon investissement. La duperie est donc lourde et risque de se payer électoralement cher car depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron souffre d’un procès difficilement récusable : il est avant tout le président des urbains et de la France qui va bien, celle qui aujourd’hui place au rang de ses priorités la bataille écologique avec d’autant plus d’allant qu’elle bénéficie en général d’une substantielle offre de transports en commun.

La bévue est d’autant plus difficile à rattraper que c’est d’abord à cette France des oubliés que voulait s’adresser Emmanuel Macron au cours de sa tournée dans le Grand Est et les Hauts-de-France : parler aux classes moyennes et populaires qui sont travaillées comme partout en Europe par les tentations populistes parce qu’elles s’estiment laissées pour compte.

Si l’exécutif ne parvient pas à calmer cette colère, le retour de bâton aux élections européennes de mai 2019 risque d’être douloureux. Le chef de l’Etat a en effet théorisé l’affrontement entre « progressistes » et « nationalistes », et le dramatise chaque jour un peu plus en fustigeant « les nationalismes belliqueux », en faisant le parallèle avec les années 1930 et en insistant sur le fait que les soixante-dix années de paix qu’a connues l’Europe ne sont « qu’une parenthèse dorée ».

Mais cette nécessaire invocation de l’histoire restera sans effet si concrètement, ceux qui ne figurent pas parmi les premiers de cordée continuent de se sentir exclus du macronisme. Le prix de l’essence a joué comme un cruel révélateur.