TV – « 1917 : il était une fois la révolution »
TV - « 1917 : il était une fois la révolution »
Par Antoine Flandrin
Notre choix du soir. Bernard George revient sur le long et tumultueux processus qui a conduit aux révolutions russes (sur France 3 à 20 h 55).
En 1969, Sergio Leone mettait en chantier Il était une fois la révolution, un film qui se passait pendant la révolution mexicaine (1910-1920). Le réalisateur Bernard George a donné ce titre majestueux à son documentaire sur la révolution russe de 1917. En préambule, le narrateur, Philippe Torreton, rappelle que la « postérité n’a retenu que la révolution d’Octobre ; elle a oublié que celle de février aurait pu conduire la Russie vers un autre destin ».
Tableau nuancé
Une heure et demie plus tard, on est obligé de convenir que la prise du pouvoir en octobre 1917 par une poignée d’hommes n’était pas une fatalité. Les neuf mois qui séparèrent les révolutions de février et d’octobre furent traversés par tant de révoltes et d’incertitudes qu’on ne saurait interpréter, à l’instar des Soviétiques en leur temps, la révolution d’Octobre comme l’aboutissement d’un schéma obéissant aux lois de l’Histoire.
Nourri d’archives souvent exceptionnelles et pour la plupart colorisées, ce film écrit avec la collaboration d’Odile Berger et Olivier Wieviorka propose un tableau nuancé de ces révolutions qui ont changé « le destin de l’humanité ». Conseillé par Nicolas Werth, spécialiste de l’Union soviétique, Bernard George montre qu’elles sont nées dans le fracas de la première guerre mondiale. Les revers subis par l’armée tsariste depuis 1914 ont eu un effet profondément déstabilisateur sur la vie politique, économique et sociale de la Russie.
Soldats russes / © Leemage
Plutôt que de raconter les événements à travers les témoignages d’une multitude de contemporains – tendance à laquelle tant de documentaires d’histoire cèdent –, ce film se place subtilement dans les pas de Claude Anet, correspondant du Petit Parisien en Russie de 1917 à 1920. Le journaliste est un bon reporter de terrain – il se trouve à côté du palais de Tauride, au plus près des manifestants, le 28 février – mais se révèle également un analyste lucide et vif.
N’hésitant pas à critiquer l’entêtement du tsar Nicolas II, il se montre pertinent lorsqu’il affirme que « Lénine n’aura pas de meilleur allié que l’Allemagne ». Mais comme nombre d’observateurs de son temps, Claude Anet est déboussolé par la pluralité de ces révolutions. Ainsi ne s’aperçoit-il de rien lorsque les bolcheviques s’emparent du pouvoir.
Le film ne se focalise pas sur le point de vue du correspondant français. Tant s’en faut. Lorsque cela est nécessaire, il décentre le regard pour mieux rendre compte de l’écho que rencontre l’événement. Au lendemain de la révolution de février 1917, le journal La Victoire annonce que « c’est le plus grand événement de l’histoire du monde depuis la Révolution française ». A Londres, TheTimes déclare que « ce profond changement inaugure une ère de liberté et de progrès humain ». Pour Léon Trotski, en exil à New York, révolution rime avec amnistie. Il prépare son retour, tout comme Lénine, qui, depuis Zurich, reconnaît qu’il ne s’y attendait pas.
Le film montre ainsi l’événement dans sa complexité, tant dans son déroulé que dans sa représentation. Pour illustrer la prise du palais d’Hiver, Bernard George s’appuie sur des scènes de reconstitution extraites de films de propagande réalisés à l’occasion du dixième anniversaire de la révolution d’Octobre, en 1927. Tout en précisant l’origine des images, le narrateur explique que ces scènes avaient pour but de magnifier la légende : le palais ne fut pas pris par les bolcheviques au terme d’affrontements héroïques, mais sans coup férir.
Février 1917 : La révolution triomphe. / Lobster
Avec pédagogie, le film brosse ainsi le portrait nuancé d’une année de révolutions, tout en rappelant en filigrane le rôle indispensable de l’historien. Un exercice tout à fait salutaire à l’heure où se propagent les fake news.
1917 : il était une fois la révolution, de Bernard George (Fr., 2017, 85 min).