Le freestyle sans frontières du breakdancer Lilou
Le freestyle sans frontières du breakdancer Lilou
Par Antoine Schirer (Lagos, Nigeria, envoyé spécial)
Deux fois champion du monde de danse hip-hop, l’impétueux Franco-Algérien parcourt le globe pour promouvoir son art. Nous l’avons rencontré au Nigeria.
Le danseur franco-algérien Lilou, à Lagos, en juillet 2017. / Antoine Schirer
Il a choisi de s’arrêter là, devant le barbecue d’un petit vendeur ambulant. Les phares des voitures éclairent les brochettes de poulet enveloppées dans du papier journal, la poussière vole dans les dernières chaleurs et le bourdonnement des générateurs qui montent dans la nuit de Lagos, capitale économique du Nigeria.
Lui, c’est Ali Ramdani, 33 ans, dit Lilou, son surnom de gamin qui l’a suivi sur la scène. Son CV a de la gueule : multiple champion du monde de breakdance, des spectacles, des films, des jeux vidéo et même une tournée avec Madonna… Le Lyonnais balade sa danse autour du monde depuis quinze ans mais garde ses distances avec le show-biz. Cette semaine de juillet, il débarque au Nigeria en invité d’honneur pour une série de stages et d’événements autour de la culture hip-hop. Un 84e pays sur sa liste. Il crâne : « J’en suis à mon quatrième passeport, cinq si je compte mon passeport algérien ! »
Pour beaucoup d’amateurs de breakdance, Lilou est une légende, célèbre pour ses victoires mais aussi pour ses frasques sur scène – un côté rock’n’roll qu’il cultive depuis ses débuts. Dans toutes les petites écoles de danse de la banlieue de Lagos, Lilou le répète aux jeunes danseurs : « Représentez qui vous êtes, d’où vous venez ! Moi je suis petit, j’ai des lunettes et je suis asthmatique… Je suis comme ça. » Avec sa bouille de gosse, il a surpris tout le monde lorsqu’il a remporté le championnat du monde de breakdance en 2005.
« Des jeunes de banlieue qui se roulent par terre »
En attendant la deuxième fournée de brochettes, Lilou raconte ses débuts. Le kung-fu d’abord, ceinture noire à 16 ans au club de Vaulx-en-Velin, à côté de Lyon, où il vit toujours. Puis la danse. Les années d’entraînement sur le parvis de l’Opéra de Lyon, contre l’avis de ses parents. Les chutes à répétition sur le marbre. Pour maîtriser une figure, il faut se lancer, encore et encore, pour s’écrouler souvent dans la foulée. « Les gens voient souvent ça comme une danse de “caille-ra” [racaille, en verlan], des jeunes de banlieue qui se roulent par terre », s’amuse Lilou. Lui s’est forgé un mental dans cet apprentissage ingrat.
Dans son hôtel à Lagos, il finit la journée sur la terrasse panoramique, à l’écart des Nigérians en tenue de soirée qui papotent sur fond de musique lounge. On est loin de Paris, où des affiches dans le métro annoncent un spectacle du Pockemon Crew, le groupe mythique de Lilou fondé à Lyon à la fin des années 1990. A l’époque, ils sont une dizaine à écumer les battles, ces duels électriques où s’affrontent les danseurs. Pour gagner, ce qui importe, ce sont les mouvements, le charisme aussi. Lilou y trouve un parallèle avec les films de kung-fu de sa jeunesse. « Les combattants ont toujours un style très singulier, avec leurs propres combos. Si l’un vient de l’école du Dragon, l’autre aura été formé à celle du Tigre. Dans le breakdance, c’est pareil, il y a des styles assez marqués suivant les régions du monde. Et chaque groupe, chaque danseur, arrive avec son délire et ses mouvements ! »
Lilou, danseur hip-hop sans peur et sans frontières
Durée : 07:55
Assez vite, le Pockemon Crew explose sur la scène mondiale. « Lilou, c’était celui que tout le monde venait défier. Les gens pensaient qu’avec sa petite taille et ses lunettes, c’était une proie facile. En fait, c’était le mec le plus chaud ! », dit Brahim Zaibat, son binôme d’alors. Pour tenir la longueur en compétition, Lilou prend l’habitude de défier tous ses partenaires d’entraînement, parfois dix ou vingt, l’un après l’autre. Et ça paye. Il remporte deux titres de champion du monde, en 2005 et 2009. Aujourd’hui, il n’appartient plus au Pockemon Crew – tout comme Brahim Zaibat. Embrouille avec le manager. Une histoire d’hommes et de réussites dans laquelle chacun avance sa propre vérité.
Fougueux, provocateur et sûr de lui
Ce dimanche après-midi à Lagos, Lilou est attendu pour juger la qualification nigériane du Battle of the Year, le championnat du monde par équipe. Son van n’avance pas, pris dans les fameux go slow, ces embouteillages monstres qui bloquent les gens parfois quatre ou cinq heures. Juste devant, un taxi-brousse proclame en lettres fluorescentes : « Mieux vaut être en retard que de ne pas arriver du tout ! » Il débarque avec une heure de retard au gymnase de l’Université de Lagos et court s’installer à la table du jury. La compétition peut démarrer.
Immédiatement, le public s’enflamme. Les danseurs nigérians n’ont pas le niveau international, mais Lilou aime leur énergie. « Dans ces pays où la danse est moins développée, il y a un ou deux battles par an. Alors les danseurs donnent tout ce qu’ils ont dans le ventre ! » Lui est blessé au nerf sciatique, il doit rester assis mais tant pis, il monte sur scène. Sa danse est intacte. Instinctive, explosive, combinant les fondamentaux de la discipline et des mouvements tirant partie de son extrême souplesse. Voilà pour la technique, mais le plus difficile est de construire un personnage. Le sien est fougueux, provocateur.
EN 2016, lors d’une compétition aux Etats-Unis, Lilou a tenté un mouvement périlleux au-dessus d’un de ses rivaux. Les deux danseurs se sont violemment percutés, le battle a failli se terminer en bagarre. Lilou a perdu, mais la séquence a fait des millions de vues sur Internet. Sans doute plus que s’il avait gagné. C’est cette attitude ardente qui captive les gens. « Ils l’adorent quand il monte sur scène jovial, provocateur, sûr de lui, raconte B-Boy Storm, un des pionniers de la discipline. Et ils adorent aussi le détester dans ses mauvais jours, avec son air d’en vouloir à la terre entière. »
Une tournée mondiale avec Madonna
C’est l’heure de la pause à Lagos, Lilou s’échappe quelques minutes de la chaleur étouffante du gymnase et croque dans un épi de maïs. Quelqu’un lui demande s’il va retenter le championnat du monde. Depuis la naissance de sa fille il y a deux ans, il lève le pied sur les entraînements. Il n’a pas voulu non plus finir en back-up dancer, ceux qu’on voit sur scène répéter tous les soirs les mêmes chorégraphies derrière une vedette. Il y avait goûté au temps où son pote Brahim vivait avec Madonna. Lilou se souvient du Super Bowl, l’un des shows les plus regardés du monde, où il avait dansé derrière la reine de la pop dans un stade bondé et devant plus de 100 millions de téléspectateurs. « Un des trucs les plus ouf de ma vie ! »
A l’époque, il embraye sur la tournée mondiale de Madonna, mais déchante quand la production lui demande – par exemple – d’enlever son tee-shirt « I’m muslim, don’t panik ! » (« je suis musulman, ne paniquez pas ») pendant les répétitions. Il refuse. « Pas mal de gens dans ce milieu se disent “underground”, mais dans 95 % des cas, tu leur tends un billet de 500 balles et ils oublient leurs convictions », commente Bruce Soné, fondateur du festival Juste Debout, à Paris. Avec Madonna, Lilou ne tient pas plus de neuf mois. Là encore, son départ de la troupe alimente sa légende dans le milieu.
A l’aéroport de Lagos, Lilou s’avance en claquettes et casquette dans la file des passagers à destination de Lyon. Maintenant, il gagne surtout sa vie en donnant des stages de formation ou en jugeant des battles à travers le monde. Le breakdance reste un secteur précaire. Il sait déjà ce que les douaniers vont lui répondre quand il annoncera être danseur hip-hop. « Non, pas votre hobby, Monsieur, votre activité professionnelle ! »