C’est une périlleuse mission de ravaudage que s’est assignée Edouard Philippe auprès des associations d’élus locaux, très remontés après les annonces de l’été (effort d’économies supplémentaires, réforme de la taxe d’habitation, diminution des emplois aidés…). Après les régions fin septembre, les intercommunalités début octobre et avant le congrès des maires en novembre, le premier ministre faisait étape, vendredi 20 octobre, au congrès de l’Assemblée des départements de France (ADF), à Marseille.

Une étape de plaine mais néanmoins piégeuse, compte tenu de la fronde qui souffle sur le Vieux-Port. Dans une motion commune signée à la fois par les groupes de droite et de gauche, les présidents de conseils départementaux affirment souhaiter « construire avec l’Etat une relation de confiance solide » mais demandent que celle-ci « puisse se fonder sur des engagements forts ».

Ils mettent ainsi « quatre conditions sine qua non » à l’ouverture de discussions avec le gouvernement sur la baisse des dépenses publiques : maintien d’un fonds d’urgence pour soutenir les départements en difficulté sur le financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) ; financement par l’Etat de la prise en charge des mineurs non accompagnés entrant sur le territoire ; respect de la libre administration des collectivités ; assouplissement du recours à l’expérimentation.

Formule alambiquée

Le premier ministre a rencontré à plusieurs reprises le président de l’ADF, Dominique Bussereau. Le président de la Charente-Maritime, à l’inverse de certains « grands barons » régionaux ou d’un François Baroin, président de l’Association des maires de France, qui n’hésite pas à souffler sur les flammes, est nettement plus versé sur la concertation.

La motion adoptée par les départements témoigne de cette volonté de dialogue. Ainsi, sur le financement des AIS, ils ne réclament plus le paiement par l’Etat de la totalité du reste à charge des départements, mais « la correction verticale des iniquités existantes quant au poids du reste à charge pour chaque département ». Une formule alambiquée – en clair, un mécanisme correctif des différences de compensation par l’Etat entre départements – qui en a fait tiquer certains, à l’image de Christian Favier, président (PCF) du Val-de-Marne, ou de Stéphane Troussel, président (PS) de Seine-Saint-Denis, qui y ont vu « un renoncement à une position de principe ».

« Les départements ont de vraies difficultés », reconnaît Jacqueline Gourault, la ministre auprès du ministre de l’intérieur, qui a précédé, jeudi, le chef du gouvernement, signifiant que d’autres seraient « plutôt dans la posture ». Raison de plus, pour M. Philippe, de ne pas ouvrir un front supplémentaire de ce côté-là : mieux vaut trouver un terrain d’entente avec ceux qui sont plus disposés à y parvenir.

« J’ai dit au premier ministre que ce n’était jamais bon de se fâcher avec tout le monde », glisse malicieusement M. Bussereau.

Message reçu. Il y a d’abord les mots, qui résonnent en adéquation avec les attentes des élus. Edouard Philippe parle d’« expérimentation », de « différenciation », d’« initiatives locales ». Et, surtout, « lorsque le législateur décide de confier une politique publique à des collectivités territoriales, il doit lui en donner les moyens financiers et juridiques ». Et puis il y a les engagements. Sur le fonds d’urgence, le premier ministre a annoncé la mise en place d’un dispositif dans le cadre du projet de loi de finances rectificative de fin d’année. « Travaillons ensemble, d’ici là, à en préciser la cible, les modalités, son articulation avec les mécanismes de péréquation », a-t-il indiqué.

Mise en place d’un groupe d’experts

« A moyen terme, le système de pilotage et de financement des AIS doit être revisité », a-t-il poursuivi, sans préciser si le gouvernement était prêt à concéder aux départements une part de CSG, comme ils le souhaitent. Mais il entend remettre à plat « l’ensemble de la fiscalité locale ». A cette fin, un groupe d’experts va être mis en place. « Nous avons quelques mois devant nous pour concrétiser des propositions de réforme dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 », a déclaré M. Philippe.

Quant aux mineurs non accompagnés, « l’Etat assumera l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineures entrant dans le dispositif jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée », a affirmé le chef du gouvernement. Une mission d’expertise paritaire (Etat-départements) devra rendre ses conclusions avant la fin de l’année. Pour l’heure, des crédits supplémentaires à hauteur de 132 millions d’euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018.

Le premier ministre n’était pas venu les mains vides. Son propos avait largement de quoi mettre du baume sur les inquiétudes, même s’il ne répond pas, dans l’immédiat, à toutes les interrogations.