Emmanuel Macron et Donald Tusk à l’Elysée, le 11 octobre. / LUDOVIC MARIN / AFP

L’Europe est-elle plus simple à réformer que la France ? Sûrement pas. Emmanuel Macron a pu éprouver la difficulté de la tâche lors de son deuxième sommet bruxellois des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, jeudi 19 et vendredi 20 octobre.

Lors de son discours de la Sorbonne, fin septembre, le président français avait montré une ambition et un volontarisme inédits pour l’Europe, déroulant une longue liste de réformes et une vision à au moins dix ans. Il est désormais confronté à l’inertie d’une machine européenne institutionnellement très complexe. Et dépendant du bon vouloir et des agendas politiques de ses pairs, la plupart moins pressés que lui de « refonder l’Union ».

Certains, comme le dirigeant italien, sont trop occupés par des élections à venir. L’Espagne est plongée dans la crise catalane. Et à Berlin, partenaire indispensable et privilégié, Angela Merkel se concentre sur la formation, délicate, de sa coalition gouvernementale.

Réélue pour un quatrième mandat, la chancelière vient d’entamer de délicates discussions avec les Verts et les Libéraux du FDP : pas sûr que le pays soit doté d’un gouvernement avant la fin 2017. Dès lors, les espoirs d’Emmanuel Macron d’entamer au plus tôt avec Mme Merkel des discussions sur une réforme majeure de l’Eurozone sont compromis.

Lyrisme et ambition

Certes, Donald Tusk, le président du Conseil européen (composé des Etats membres) a bien tenu compte des ambitions de M. Macron. Son « agenda des leaders », programme de travail pour les dix-huit prochains mois, était au menu du sommet, vendredi.

Simple proposition de remise en ordre pour certains, ébauche d’une nouvelle méthode de travail des dirigeants selon d’autres, cet « agenda » n’aurait pas existé sans le discours de la Sorbonne, ni sans celui, mi-septembre, de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, moins lyrique mais tout aussi ambitieux que le chef de l’Etat français.

M. Tusk a reçu le message de Paris, qui réclamait plus de sommets sur des thèmes précis, pour avancer concrètement vers cette « Europe qui protège », à la fois proche des préoccupations des citoyens et conquérante. L’ex-premier ministre polonais ne propose pas moins de treize sommets, avec au menu des discussions sur la taxation du numérique ou l’avenir de l’Eurozone.

Mais pour beaucoup de diplomates bruxellois, ce document apparaît aussi comme une tentative pour le Conseil de reprendre la main. « Ce document consiste à dire : “C’est nous les pilotes” », commente un diplomate. « L’ambition et l’énergie d’Emmanuel Macron ont inquiété dans certaines capitales. Il fallait les canaliser, les remettre dans un cadre européen », décrypte un autre.

M. Tusk, très sensible à leurs arguments, a tenu à calmer les pays du « groupe de Visegrad » (Hongrie, République tchèque, Pologne, Slovaquie) inquiets de la vision française d’une Europe à deux vitesses. Ils veulent éviter que sur certains sujets (défense, social), un groupe de pays laisse les moins volontaires derrière eux. « Tant que je serai en poste, je serai le gardien de l’unité », a rappelé M. Tusk jeudi.

« Le risque, c’est de réduire l’ambition des réformes pour que tous les pays restent à bord. Il aurait fallu resserrer l’agenda sur 2018 », avant les élections européennes de 2019, s’inquiète un diplomate bruxellois, qui ajoute : « La France va devoir injecter ses idées en continu pour maintenir la dynamique. »

« Trouver les bons accords »

Maintenir l’Europe sous tension, M. Macron s’y est employé dès jeudi soir, réclamant à Bruxelles un débat sur la stratégie commerciale de l’Union : le président français souhaite une approche plus transparente et protectrice. « L’Europe qui protège, c’est une Europe qui sait trouver les bons accords de libre-échange, les bonnes négociations pour protéger ses travailleurs et ses consommateurs », a-t-il déclaré.

Paris s’inquiète de l’agenda de la Commission prévoyant dans les prochains mois des négociations avec le Mercosur (qui regroupe une dizaine de pays d’Amérique latine), l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La France veut éviter que ces accords connaissent les mêmes difficultés que le CETA, négocié avec le Canada, alors que l’opposition ne cesse de grandir dans les opinions contre une Europe jugée trop libérale.

Mais cette position française est loin de faire l’unanimité, certains pays la considérant comme trop protectionniste. « Je n’aime pas l’approche de principe selon laquelle nous devrions ralentir les négociations de libre-échange », a déclaré le premier ministre suédois Stefan Löfven.

Le chef de l’Etat français a aussi réussi à imposer la taxation des géants du numérique dans les conclusions du Conseil, jeudi. Mais l’Irlande ou le Luxembourg, défenseurs habituels du laisser-faire fiscal, ont obtenu que soit mentionnée la nécessité pour les Européens de régler leurs avancées sur celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un bon moyen de ralentir leurs travaux communs.

La révision de la directive sur le travail détaché sera un test déterminant de la capacité de M. Macron à peser sur le cours de l’UE. Lundi 23 octobre, se tient un conseil des ministres des affaires sociales au cours duquel Paris compte aboutir à un accord, toujours pas acquis en cette fin de semaine en raison de l’opposition d’un noyau dur de pays comptant l’Espagne, le Portugal, la Grèce, L’Irlande, Malte, et le groupe de Visegrad.