« Assassin’s Creed Origins » : ce qui est fidèle à l’Egypte antique, ce qui ne l’est pas
« Assassin’s Creed Origins » : ce qui est fidèle à l’Egypte antique, ce qui ne l’est pas
Par William Audureau
Ubisoft Montréal s’est entouré d’égyptologues pour sa superproduction, mais s’est aussi autorisé des entorses à la réalité historique.
« Assassin’s Creed » met le cap sur l’Egypte.
Voiles sur les filles et barques sur le Nil : la série Assassin’s Creed prend pied à partir du 27 octobre en Egypte antique, dans le jeu vidéo Assassin’s Creed Origins sur PlayStation 4, Xbox One et PC. Pour le retour de la franchise deux ans après un épisode victorien, et surtout trois après un opus sur la révolution française riche en erreurs historiques, les équipes d’Ubisoft Montréal se sont à nouveau entourées d’experts… et à nouveau autorisé des libertés. Lors d’une rencontre mi-septembre au British Museum de Londres organisée par Ubisoft, les développeurs du jeu ont explicité leur objectif : documenter l’Egypte antique, en casser les clichés, mais tout en restant dans le cadre d’une fiction qui soit prenante et intéressante à jouer, quitte à prendre quelques libertés avec l’Histoire.
Ce qui est fidèle
L’Egypte dépeinte par le jeu est très verdoyante. / Ubisoft
Le héros noir
Tranchant avec les habitudes encore bien ancrées de l’industrie, Ubisoft a décidé de mettre en scène un protagoniste noir, Bayek. Loin du cliché classique de l’Egyptien, il vient de la peuplade Majay, originaire de Siwa, une oasis proche de la frontière libyenne. « Cela a été un choix dès les débuts », assume Raphaël Lacoste, directeur artistique sur le jeu. « On a vu tous ces films avec des Blancs maquillés et on ne voulait surtout pas aller dans cette direction, mais montrer au contraire la multiplicité ethnique et la complexité culturelle de cette Egypte, entre l’invasion des Grecs et les peuples arrivant du Sud. » Une diversité ethnique qui se retrouve dans la foule d’une ville à l’autre dans le jeu.
Une Egypte très colorée
Loin de l’image d’Epinal d’un pays jaunissant, Assassin’s Creed Origins montre une Egypte chatoyante. « L’Egypte de Cléopâtre, c’est une Egypte verte, aux villes et aux temples colorés, » explique Maxime Durand, historien qui travaille sur la série pour Ubisoft. Dans le jeu, cela se retrouve notamment dans le célèbre Sphinx. « Les gens vont penser que c’est une caricature, mais pas du tout, prévient Evelyne Ferron, consultante experte en égyptologie engagée par Ubisoft. On a des traces de pigments sur la coiffe, par exemple, qui nous donnent d’assez bons indices de sa couleur. Les gens ne voulaient pas vivre dans du beige, il y avait déjà du sable partout ! »
La lueur des pyramides
Les pyramides, déjà vieilles de deux mille ans à l’époque où se déroule le jeu, sont en revanche davantage blanchies. Leur lueur dans le jeu est différente de ce que l’on connaît aujourd’hui. « Les grandes pyramides sur le plateau de Gizeh sont faites en pierres blanches polies, resitue Raphaël Lacoste. Il y avait un effet réfléchissant, presque aveuglant quand on les regardait, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, car elles ont été pillées et ce revêtement a disparu. » Le jeu tente de rendre cette luminosité d’époque.
Des détails architecturaux
C’est parfois à des détails méconnus qu’Ubisoft a apporté le plus de soin de reconstitution historique – dans les limites des connaissances scientifiques. Ainsi du phare d’Alexandrie : « On a trouvé beaucoup de documentation dessus, sur la construction du phare, se félicite Raphaël Lacoste. On a appris qu’il y avait une grande pente hélicoïdale à l’intérieur du feu et, après discussions avec des historiens, nous avons pris le parti de le reconstituer. »
Ce qui est librement réinterprété
Au nom de l’intérêt du joueur, Ubisoft a rajouté des arènes et des gladiateurs dont la présence en Egypte reste à prouver. / Ubisoft
L’apparence de Cléopâtre
Difficile de dire que le jeu trahit l’image de la célèbre reine : comme le rappelle Maxime Durand, on ignore son apparence réelle. « Cléopatre est une figure emblématique de l’antiquité. Il y a des statues et des pièces de monnaie qui la représentent, mais de manière idéalisée, avec un profil grec. Nous avons pris la liberté de la représenter différemment. » Sur les conseils des experts historiens, les concepteurs ont choisi de ne pas l’hypersexualiser. « Ce n’est pas Monica Belluci ! Elle est belle, mais elle est… normale », sourit l’historienne Evelyne Ferron, qui reconnaît tout de même que sa taille a été exagérée, afin de rendre son charisme.
Des gladiateurs en Egypte
Dans le jeu, la ville de Sirène abrite une arène dans laquelle le joueur peut affronter des gladiateurs venus du monde entier. « Sirène est une ville romaine depuis quarante ans à l’époque », tente de justifier Maxime Durand. « Mais la réalité est qu’on prend une grande liberté, car il n’y a jamais eu d’arène à Sirène. On voulait accentuer l’influence romaine dans cette ville, et cela permet des combats très spectaculaires. » Evelyne Ferron, qui fait également partie de l’équipe Assassin’s Creed, sourit : « Ça, c’est le combat que j’ai perdu. » De même, les guerriers vikings sont une liberté prise par l’équipe, sachant que les gladiateurs pouvaient – en théorie au moins – venir de toute l’Europe. « Cela aurait été possible, en fait », veut croire Raphaël Lacoste.
Les hippodromes d’Alexandrie
Les raisons qui peuvent pousser les développeurs à trahir l’Histoire sont parfois étonnantes. Ainsi de la ville d’Alexandrie, qui ne possède qu’un seul hippodrome au lieu de deux, pour des raisons… logistiques. « Dans le jeu, le second hippodrome est à télécharger, les courses de char ne sont pas disponibles par défaut. C’est une contrainte technique, explique Maxime Ferrand. Mais là où on l’a mis, il y avait bien un hippodrome, seulement il n’était pas à ciel ouvert. »
Ce qui n’est pas fidèle
Les héros parlent anglais ou français, un anachronisme évident. Mais même l’égyptien de la foule est une reconstitution très libre. / Ubisoft
Les statues surdimensionnées
Les créateurs le reconnaissent volontiers : ils ont souvent exagéré les proportions des monuments, essentiellement pour des raisons pratiques. « Par exemple le temple d’Hepta, à Memphis : on sait que les piliers sont hauts de 30 à 35 mètres, explique Raphaël Lacoste. C’est très haut déjà, très épuré, avec une lumière forte, qui produisait une impression très forte. On essaie de retranscrire cela, mais l’on s’aperçoit que, manette en main, l’émotion n’est pas là. » La raison ? L’écran du jeu fonctionne comme un objectif grand-angle, ce qui permet d’avoir une vue très large mais écrase les hauteurs. « Pour donner l’impression réelle que l’on devait avoir en arrivant devant ce temple, on a doublé la taille des piliers. On les a montés à 60 mètres, ce qui permet de coller plus à l’impression perçue. » Une astuce utilisée à plusieurs reprises.
Les villages spécialisés
D’une cité à l’autre, le joueur rencontre à chaque fois une concentration différente de métiers, comme s’il y avait une division géographique du travail en Egypte antique, ce qui n’est pas le cas. « Notre contrainte à nous, c’est que le joueur doit pouvoir s’orienter dans le monde. Donc à chaque village, il faut que l’on trouve une petite thématique, par exemple avec une concentration de métiers de type brasseur ou tisseur. On va caricaturer un peu, afin que le joueur mémorise plus facilement où il est passé, même si l’on sait qu’à l’époque, les métiers étaient plus mélangés », reconnaît Maxime Durand. « C’est une liberté que l’on prend pour aider le joueur. »
La langue égyptienne parlée
Si la plupart des personnages sont doublés en anglais (ou en français dans la version française), certains protagonistes mineurs échangent en égyptien, afin de renforcer l’ambiance. Sauf que personne ne maîtrisait cette langue morte au sein de l’équipe du jeu. « On travaille sur l’accent en y mettant du grec ou du copte, en faisant en sorte que le joueur ait le sentiment d’y être. De toute façon, les égyptologues lisent l’égyptien mais ne le parlent pas entre eux », botte en touche Maxime Durand. Une approche contestée par Dominique Farout, égyptologue à l’institut Kheops, véritable spécialiste capable de lire et parler la langue. Et en réalité, les personnages secondaires parlant égyptien échangent… des mots désignant objets ou légumes, sans que leurs phrases n’aient aucun sens.