Et si nous arrêtions d’utiliser le mot « acculturer » pour désigner l’adaptation au numérique ?
Et si nous arrêtions d’utiliser le mot « acculturer » pour désigner l’adaptation au numérique ?
Par Francis Pisani
L’utilisation du terme « acculturer » pour désigner le processus d’initiation au numérique est fréquente. Elle est aussi dangereuse.
Un article trouvé ce matin dans La Gazette des communes me fait bondir.
On y lit que « les collectivités se mobilisent pour acculturer les Français aux nouvelles technologies ». Une intention d’autant plus louable que le titre nous dit clairement qu’il s’agit de lutter contre « l’exclusion numérique ». Très bien, mais… attention.
Si je regarde le terme « acculturer » dans un dictionnaire, la définition la plus courante est « adapter quelqu’un, un groupe à une nouvelle culture » (Larousse). La Gazette n’y est donc pour rien. Mais l’usage est traître, et il y a un piège d’autant plus redoutable qu’il fonctionne au niveau de l’inconscient collectif façonné par notre culture et notre langue.
Le préfixe « a » indique « l’absence » selon la rubrique « préfixes en français » du site Etudes littéraires. « Atypique » désigne ce qui n’est pas typique, « anormal » ce qui n’est pas normal, « amoral »… Nul besoin d’allonger cette liste qui menace d’être très longue.
Après vérification supplémentaire sur le site eXionnaire (qui se définit comme un « grosgros [sic] site avec plein de ressources : des mots, des articles, des textes » etc.), nous découvrons que le préfixe indique aussi « la transformation, le changement d’état ».
Nous pouvons conclure que si l’usage du terme « acculturer » peut indiquer une transformation, l’ambiguïté existe. L’usage courant penche plutôt vers la privation. C’est tout le problème.
L’Encyclopédie universelle nous aide à aller plus loin avec l’exemple choisi pour illustrer ce terme : des familles d’immigrants s’installant aux USA. Ces familles sont dites « acculturées » lorsqu’elles sont « américanisées ». Il s’agit bien, dans le melting-pot, de leur faire perdre leur culture, ou de les transformer assez pour qu’ils en oublient une bonne partie, voire l’essentiel. L’usage semble d’ailleurs venir de l’américain to acculturize, « modifier la culture de (un peuple) par assimilation d’éléments étrangers ».
Nous sommes nombreux, à commencer par les communes de l’article cité plus haut, à vouloir aider ceux qui ont du mal à comprendre et à utiliser les technologies de l’information. Mais en leur disant que nous voulons les « acculturer », nous risquons de déclencher en eux la peur de perdre leur culture.
Il en va de même quand nous parlons de « dématérialisation ». Le mot indique davantage la destruction de quelque chose (de tangible) que le passage à un autre état auquel nous sommes moins habitués, et qui peut donc faire peur.
Nous obtiendrions peut-être de meilleurs résultats en parlant d’« initiation », de « formation », de « préparation » ou d’« introduction » aux technologies de l’information. En n’oubliant jamais les dangers qu’elles présentent, de la même façon que nos routes ne sont pas sans risques.