Ligue 1 : la phase d’apprentissage du promu Amiens
Ligue 1 : la phase d’apprentissage du promu Amiens
Par Rémi Dupré
Plus petit budget du championnat, marqué par l’épisode de la « barrière », le club de la Somme se déplace à Guingamp (à 20h), samedi 28 octobre.
Le défenseur d’Amiens Julien Lelsch tacle, le 25 octobre, à Troyes / FRANCOIS NASCIMBENI / AFP
Parmi les bizarreries dont regorge la Ligue 1, l’Amiens Sporting Club, première équipe picarde à être promue parmi l’élite, intrigue les observateurs. Dotée du plus petit budget du championnat (25 millions d’euros), la formation de la Somme mène « un combat de tous les jours », selon l’expression de son président, Bernard Joannin, pour décrocher le « graal » du maintien. Seizièmes au classement, les joueurs entraînés par Christophe Pelissier tenteront de grappiller des points sur la pelouse de Guingamp, samedi 28 octobre (à 20h), lors de la 11ème journée.
A la tête de l’Amiens SC depuis 2009, Bernard Joannin le reconnaît bien volontiers : « ces trois mois en L1 furent une période d’apprentissage, d’adaptation très instructive. » Ancien professeur d’éducation physique et sportive (EPS) dans un lycée de la ville d’Albert (Somme) et dirigeant d’un club qui compte une cinquantaine d’actionnaires, le sexagénaire pointe les « écarts financiers énormes » au sein d’un championnat dominé par le Paris-Saint-Germain version qatarie (540 millions d’euros budget). « Je suis à la tête d’une entreprise de spectacle très médiatisée. Chaque décision est surveillée. En Ligue 2, on est dans une certaine convivialité médiatique. En Ligue 1, on est sous les feux de la rampe. Nous n’aurions jamais pensé monter si rapidement en Ligue 1. C’était imprévu. »
Période agitée
Si le club avait précommandé un terrain en synthétique et d’autres outils adaptés à l’élite, il ne s’attendait pas à arracher, en mai, sa montée à la dernière seconde, sur le terrain de Reims. A l’époque, Bernard Joannin compare le football à une « pièce de théâtre » tout en rendant hommage aux salariés de l’usine Whirlpool, alors promise à la fermeture et aujourd’hui reprise par la société WN.
Amiens est, en outre, devenu l’une des rares équipes à passer, en deux saisons, du National à la Ligue 1. « Il n’y aucune vergogne à dire qu’on était en National il y a vingt mois », sourit Louis Mulazzi, président délégué de l’institution. Ces dernières saisons, le parcours de l’équipe picarde a de quoi donner le vertige. En juin 2014, alors pensionnaire du National, le club perd même son statut professionnel mais décide de conserver son centre de formation. « Le centre de formation a été pillé de manière mécanique mais nous l’avons gardé envers et contre tout. Et ce sans aucune protection au niveau de nos pépites », indique Louis Mulazzi, qui évoque la « fibre formatrice » de son club, enclin à investir 1,8 million d’euros, cette saison, dans son académie.
L’arrivée en Ligue 1 a aussi coïncidé avec une période agitée, assortie d’une cohorte d’affaires. « On n’a pas été épargnés », résume le numéro 2 de l’Amiens SC. En juin, Lens (candidat malheureux à la montée) et Lorient ( relégué en Ligue 2) portent plainte auprès de la Ligue de football professionnel (LFP) et de la Fédération française de football (FFF) pour contester la montée du club picard. Selon les plaignants, la promu n’aurait pas respecté le Code du Sport, qui stipule qu’un agent de joueurs ne peut être actionnaire ou dirigeant d’un club. Les dirigeants lorientais et lensois visent directement l’impresario John Williams, actionnaire (à 0,12%) d’Amiens, conseiller de Bernard Joannin, et directeur sportif officieux de l’institution.
L’épisode de la barrière
Finalement, la montée des « Blancs » est confirmée et le Comité national et olympique et sportif français (CNOSF) blanchit le club, dont l’amende de 15000 euros est levée. « Il s’agissait de bagarres en coulisses, assure Bernard Joannin. Je suis resté très en retrait tout en défendant le bien fondé de notre démarche. Je n’ai pas jugé les personnes et je m’y tiens. C’est mon éthique personnelle. Nous sommes en discussion avec la FFF pour voir de quelle façon on peut établir un contrat de travail avec John Williams. Il reste mon conseiller bénévole. » « Cela vient d’une attaque un peu basse. On est un petit club, on monte tous les ans au dernier match et ça doit énerver un certain nombre de personnes », ajoute M. Mulazzi.
Malgré lui, le club picard va se retrouver particulièrement exposé, le 30 septembre, lorsque la rupture d’une barrière survenue, au Stade de la Licorne, face à Lille, fait ving-neuf blessés légers. Ce jour-là, à chaud, Bernard Joannin s’en prend maladroitement à l’attitude des « ultras » nordistes et s’attire une salve de critiques. « De l’épisode de la barrière, j’ai tiré la leçon de tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler, insiste le président d’Amiens, en guise de mea culpa. J’ai parlé avec mon coeur. J’ai été pris par la violence du choc, de l’émotion. J’aurais dû avoir une parole en priorité pour les blessés. Si j’avais eu des blessés graves sur la conscience, cela m’aurait marqué à vie. » « J’ai eu très très peur », confie Louis Mulazzi.
« L’équipe doit être une meute »
L’épisode de la « barrière » a conduit la LFP à ouvrir une « instruction disciplinaire ». En attendant les conclusions de la commission de discipline, attendues le 9 novembre, l’Amiens SC a disputé un match à domicile au Havre, le 20 octobre, contre Bordeaux (1-0). Cejour-là, les dirigeants du club ont pris en charge les frais de déplacements de leurs supporteurs.
Alors que la rénovation des tribunes du Stade de la Licorne -dont la capacité d’accueil sera de 13000 places- sera finalisée courant 2018, le club picard espère vivre une deuxième saison parmi l’élite. « Tout le monde au club protège l’équipe pour qu’elle puisse bien faire son boulot. L’équipe doit être une meute. Il n’y a que comme ça qu’on peut gratter des points. On subit actuellement. Il faut qu’on retrouve un peu de calme, qu’on cesse d’absorber des ondes négatives », développe Louis Mulazzi.
« A cheval » sur la gestion des comptes et sur l’encadrement de la masse salariale, les dirigeants d’Amiens ont effectué un recrutement « raisonné », relançant l’éternel espoir Gaël Kakuta, 26 ans, en perdition ces dernières saisons, et le vétéran (34 ans) Mathieu Bodmer, transfuge de Guingamp. « Je ne donne jamais d’objectif chiffré, Bernard Joannin, qui vante l’esprit familial qui prévaut au sein de son club. On cherche à se rapprocher pas à pas de l’excellence et à décrocher le graal en restant en L1. » Pour la formation de la Somme, guère épargnée par les polémiques, la route est encore longue vers le maintien.