« D’après une histoire vraie » : l’angoisse de l’écran blanc
« D’après une histoire vraie » : l’angoisse de l’écran blanc
Par Thomas Sotinel
Roman Polanski adapte avec légèreté le roman de Delphine de Vigan, sur une écrivaine en panne d’inspiration.
Et c’est maintenant que Roman Polanski réalise un film qui passe haut la main le test de Bechdel. Cette épreuve, formulée par l’auteure de romans graphiques Alison Bechdel, exige d’un film qu’il mette en scène au moins deux personnages féminins identifiés par leur nom, qu’elles parlent ensemble, et d’autre chose que d’un homme.
Adapté par Polanski et Olivier Assayas, le roman de Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie, relève du cinéma de chambre avec, au centre de cette partition modeste et virtuose, Delphine et Elle, dont les interprètes, Emmanuelle Seigner et Eva Green, exécutent des variations étourdissantes sur le thème de la réalité et de la fiction, du désir et du fantasme.
Delphine Dayrieux croule sous le poids du succès de son dernier roman, inspiré du suicide de sa mère. Accablée d’hommages et de culpabilité (on lui reproche de s’être enrichie sur ce sujet), elle peine à mettre un nouveau livre en chantier. Elle rencontre Elle (pour Elisabeth), une femme que tout sépare de la réalité. Au désordre vestimentaire et capillaire de Delphine, elle oppose une mise irréprochable. Rongée par l’angoisse de l’écran blanc, l’écrivaine s’accroche à sa nouvelle amie jusqu’à lui remettre les clés de sa vie.
Distorsions de la réalité
Ce qu’Elle en fera est à la fois prévisible et déroutant. Prévisible parce que depuis longtemps Polanski met en scène les distorsions de la réalité, ces moments où le regard est plus alimenté par ce qui grouille derrière la rétine que par ce qui vient la frapper. Parce qu’il aime aussi renverser les rapports de force à plusieurs reprises au long d’un même récit, pour mieux communiquer au spectateur l’incertitude des personnages.
Déroutant parce que le réalisateur du Locataire s’aventure ici – très prudemment – sur une matière neuve. Il y a d’abord la légère teinte satirique que les personnages secondaires (Josée Dayan en éditrice, Vincent Perez en compagnon journaliste littéraire) confèrent à l’ensemble. Ces coups de canif donnés dans le tissu social – l’intelligentsia parisienne – sur lequel Polanski prospère depuis des décennies sont l’amorce d’un autre thème : la romancière se trouve dépourvue face aux nouveaux bruits du monde, ceux qui n’arrivent plus par les fenêtres ouvertes mais par les écrans. On finit par se demander si l’apparition d’Elle n’est pas la réponse à une prière exigeant la fin des tortures infligées sur toutes les toiles.
Cette modernité toxique est mise en scène sur un tempo de cinéma classique. Si le cadre et la lumière sont contemporains, le découpage et le montage ressemblent à ceux du cinéma américain de l’âge d’or, une sensation accentuée par la partition légèrement désuète d’Alexandre Desplats. Ce parti pris a pour avantage et pour inconvénient de conférer une certaine légèreté à cette promenade dans les affres de la création.
D'après une histoire vraie - de Roman Polanski - Bande-Annonce
Durée : 02:04
Film français de Roman Polanski. Avec Emmanuelle Seigner, Eva Green, Vincent Perez (1 h 40). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/dapres-une-histoire-vraie et www.facebook.com/DApresUneHistoireVraie.lefilm