« Un art martial mais sans le martial, un art-coopération. » Jeux de mots, de jambes, cette formule du danseur et chorégraphe américain Steve Paxton définit le Contact Improvisation qu’il inventa dans les années 1970. Capsule secouée d’aïkido, d’acrobatie et de danse, qui s’avale cul sec, en duo mais aussi en groupe. Autant dire que le résultat sent parfois bon la pagaille au point de faire surgir des comparaisons follement lyriques. « Ça ressemble à des chiens qui se chamaillent, des gens qui font l’amour ou la sieste ou encore de la voltige », s’emballe le très passionné Romain Bigé, philosophe et praticien, commissaire de l’exposition Gestes du Contact Improvisation, jusqu’au 5 mai, au Musée de la danse, à Rennes.

Concrètement, cette pratique, devenue la routine de nombre de professionnels et d’amateurs dans le monde entier, est fondée sur une invention gestuelle spontanée qui utilise toutes les parties du corps. Avec un principe : ne jamais perdre le contact de son (ou ses) partenaire(s). Cette spécificité la différencie de l’improvisation au sens plus classique du terme. C’est l’ici et le maintenant qui parlent, la qualité de l’air, la texture de la lumière, l’humeur du jour et le courant qui passe (ou pas). Et il peut en arriver de drôles lorsque deux personnes se jettent à l’assaut l’une de l’autre sans prédire ce que sera leur rencontre. « A l’origine, Steve Paxton a fait de nombreuses fois, en studio mais aussi en forêt, l’expérience de se jeter dans les airs en fermant les yeux pour voir ce qui allait arriver, poursuit Romain Bigé. De cette situation va naître l’idée d’un corps réflexe, intuitif. Et la chute est devenue un des gestes-clés de sa pratique car elle ouvre un espace de désorientation qui dépasse la monotonie de nos repères physiques. » En débordant les habitudes et les codes.

Favoriser l’inconnu, l’éphémère, la surprise

Loin du déjà-vu, de la duplication du même, du style et de l’académisme, le Contact Improvisation opte résolument pour l’inconnu, l’éphémère, la surprise. Plonger dans l’action comme si c’était la première fois mais aussi la dernière. Avec l’urgence et la détermination de l’exploration et d’une expérience de soi inédite. « Le Contact Improvisation est un sous-programme de la danse, énonçait non sans humour Steve Paxton à la fin des années 1990. On ne répète pas un mouvement préenregistré mais on découvre les forces souterraines du geste. » A condition d’être disponible, d’aimer jouer et se mettre en danger. « Ça ressemble à un saut dans le vide, décrit le chorégraphe Mark Tompkins, figure de l’impro depuis les années 1980 après avoir suivi le premier stage donné par Paxton en 1978 en France. Je ne sais pas ce qui va m’arriver. Je ne veux rien savoir d’ailleurs mais garder la spontanéité. Comme dans la vie, je dois m’adapter sans cesse et en temps réel à ce que j’ignore de moi, de l’autre. »

Patricia Kuypers, spécialiste du « Contact Improvisation » et praticienne : « Ce n’est que depuis une dizaine d’années que le nombre de pratiquants explose en France »

Stratégie de liberté, le Contact Improvisation a bouleversé la transmission du geste et impulsé une lame de fond qui continue de nourrir les démarches des artistes aujourd’hui.
« Dans les années 1970, cette approche a été une véritable déflagration dans le monde de la danse, commente Patricia Kuypers, spécialiste et praticienne. Paxton a proposé une autre manière d’entrer dans le geste à travers les sens et la perception, sans que le chorégraphe ou l’enseignant montre à travers son propre corps comme c’était le cas généralement, mais en suggérant, en défiant les limites pour découvrir ce que chacun recèle comme possibilité dont il n’est pas conscient. Impossible aujourd’hui qu’un danseur contemporain n’ait pas touché une fois à cette pratique qui offre une opportunité de renouvellement. »

Si les artistes français ont eu la chance de profiter très tôt de l’enseignement de Paxton et de ses amis, dont Lisa Nelson, la reconnaissance du Contact Improvisation a pourtant été plus lente dans l’Hexagone que dans les pays anglo-saxons. « Sans doute à cause de son aspect non formel et de son esprit communautaire dans un milieu qui reste assez attaché à une certaine esthétique du mouvement et à une organisation des compagnies assez hiérarchisée, poursuit Patricia Kuypers. Ce n’est que depuis une dizaine d’années que le nombre de pratiquants explose en France. » En plein dans la tendance retour à la communauté, au danser-ensemble, le Contact Improvisation matérialise le désir de rencontre et de dialogue que l’art comme la société pistent sur tous les fronts avec ardeur.

Gestes du Contact Improvisation. Musée de la danse, Rennes. Jusqu’au 5 mai. Tél. : 02 99 63 72 93.