A la Paris Games Week, plaidoyer pour une féminisation des métiers du numérique
A la Paris Games Week, plaidoyer pour une féminisation des métiers du numérique
Par William Audureau
A l’occasion de la première table ronde de l’association Women in Games, cinq professionnelles ont appelé les femmes à prendre leur place dans une industrie où elles ne représentent qu’environ 15 % des effectifs.
Dipty Chander (Epitech, Microsoft) exorte les femmes à s’engager dans l’industrie du jeu vidéo et les nouvelles technologies.
« On s’est rendu compte que des femmes, il y en avait parfois pour remettre des prix, mais jamais pour les recevoir », ironise Julie Chalmette. La présidente de la filiale française de l’éditeur Bethesda et du syndicat français des principales entreprises du secteur, le SELL, inaugurait vendredi 3 novembre la première table ronde de la jeune association Women in Games France, en marge de la Paris Games Week, le salon du jeu vidéo qui se déroule du 1er au 5 novembre au Parc des expositions.
Faire de la place aux femmes dans cette industrie où elles ne représentent qu’environ 15 % des effectifs, c’est le défi majeur de cette association créée sur le modèle de Women in Games UK. Elle s’est fixée pour cela trois axes de travail, expose son autre coprésidente, Audrey Leprince, responsable du studio The Game Bakers :
« Les trois missions que nous nous sommes données, c’est le networking [réseau], qui est très important pour nos carrières professionnelles ; créer des rôles modèles pour les générations à venir et d’aujourd’hui, pour montrer que des femmes ont eu de très belles carrières ; et enfin faire de l’éducation auprès du grand public, très jeune, pour expliquer aux petites filles qu’il y a de la place pour elles dans l’industrie du jeu vidéo. »
La réunion s’est tenue alors que la journaliste Nadia Daam est victime depuis plusieurs jours d’une vaste campagne de harcèlement menée par des membres d’un sous-forum de JeuxVideo.com. Une situation que « condamne fermement » Véronique Morali, présidente du directoire de la société éditrice du site, Webedia, ancienne présidente du Women’s Forum, et présente ce jour-là pour encourager l’association.
« Peur des commentaires négatifs »
De légitimité, il a beaucoup été question lors des interventions des cinq professionnelles venues témoigner. A l’image de Dipty Chander, que sa conseillère d’orientation au lycée a voulu détourner de la voie des métiers de l’informatique : « Ça a été le premier choc de ma vie, le premier point qui m’a freinée, mais quand je suis partie de son bureau, ce n’était pas anodin. »
Après des études dans la prestigieuse école Epitech, elle est aujourd’hui présidente de l’association E-mma France qui promeut la mixité et responsable technique chez Microsoft France. Malgré cela, lorsque quatre ans après, Dipty Chander recroise le chemin de son ancienne conseillère d’orientation et lui explique où elle est arrivée, cette dernière lui demande de voir sa carte de visite pour y croire.
La « développeuse du dimanche » sensibilise le public au sentiment de manque de légitimité des femmes dans le jeu vidéo. / Women in Games
Ce sentiment d’être perpétuellement susceptible d’être jugée illégitime, la conceptrice indépendante Lola Guildou en témoigne aussi. Conceptrice professionnelle de jeu vidéo, ancienne cheffe de projet, sur des jeux récompensés, elle a pourtant choisi, sur YouTube, le pseudonyme de « développeuse du dimanche » :
« Je n’ai pas voulu me présenter comme une experte, j’ai eu peur des commentaires négatifs, du coup je me suis dit que si je m’appelais ainsi et que je publiais des vidéos le dimanche, les gens croiraient que c’est un jeu de mot. En fait, c’était un moyen de me minimiser. »
« Les CV des femmes ne font pas rêver »
Ce qui pourrait passer pour de la timidité personnelle se retrouve chez beaucoup de ces femmes. « Je suis féministe, mon but c’était de prendre une writeuse [rédactrice de jeu], mais je n’en trouvais pas », regrette Pia Jacmart, responsable narrative chez Cyanide. Et de constater, sous les rires de l’assistance :
« Les CV des femmes ne font pas rêver. Elles ne se mettent pas assez en avant. Quand on fait passer des entretiens à cinq hommes et cinq femmes, le décalage entre ce que ces messieurs vous promettent et font vraiment est impressionnant, alors que chez les femmes, c’est le contraire. »
Pour elle, s’affirmer n’est possible que si l’on sait qui on est et ce que l’on veut. Aujourd’hui cheffe d’équipe, c’est lors d’un dîner professionnel que Pia Jacmart a confié à membre de Cyanide que son vrai rêve, c’était de raconter des histoires :
« Ce qui a été le plus important c’est le moment où j’ai pu verbaliser mon désir, alors que je ne me pensais pas légitime. Ça a été un premier pas pour le réaliser. J’ai dit ce que je voulais faire, je l’ai fait avec humilité, mais je l’ai fait. »
Julie Chalmette a elle-même hésité à refuser le poste de présidente du SELL, faute de se sentir légitime :
« Je me suis demandé si les hommes se posaient ce genre de questions, et je me suis rendu compte que c’était un questionnement très féminin. Je ne pouvais pas me dire féministe et refuser de me mettre en avant. Je l’ai fait pour mes filles, pour les générations suivantes. »
18 filles sur 500 élèves
Les femmes représentent 15 % des effectifs dans l’industrie du jeu vidéo selon le SNJV, et cette part est encore plus minime dans les métiers techniques. / Women in Games
C’est pour encourager les femmes du secteur que l’association veut mettre en avant des exemples de réussite, et pas uniquement aux postes à responsabilité. Les femmes sont particulièrement minoritaires dans les métiers techniques, qui sont pourtant au cœur de la fabrication d’un jeu vidéo.
Dans la promotion Epitech à laquelle elle appartient, Dipty Chander révèle que « sur 500 élèves, il y a dix-huit filles. S’il n’y a pas de femmes au niveau des écoles comme Epitech, on ne les retrouvera pas plus tard. » Et d’ajouter que 65 % des métiers de demain utiliseront l’intelligence artificielle, autant de métiers aujourd’hui majoritairement créés par les hommes. « Quelle inclusion restera-t-il ? Les métiers représenteront la vision d’un homme, non d’un homme et d’une femme. »
De ce point de vue, la carrière de Marion Not fait figure d’accident. Quand celle-ci se présente devant l’audience comme programmeuse gameplay au sein d’Ubisoft Annecy, le parterre l’applaudit ; pourtant, c’est seulement après avoir zigzagué dans ses études et développé une allergie à la physique quantique qu’elle s’est redirigée vers sa passion de toujours, le jeu vidéo, alors qu’elle aurait pu viser ce secteur d’emblée :
« La sensibilisation auprès des jeunes filles et des parents, à la programmation et aux jeux vidéo, c’est très important. J’aurais aimé dans ma vie éviter les tâtonnements. C’est important d’avoir des opportunités et des rôles modèles. »
« Je ne veux pas mentir, ce sont des métiers durs, mais je suis contente que ça ait été dur, au moins je vais pouvoir dire à une femme : si j’ai réussi, tu peux le faire. Je n’ai pas plus de neurones que toi, les femmes ont autant leur place dans le numérique », martèle Dipty Chander dans un discours vibrant.
« Allez-y, échouez. C’est génial d’échouer. C’est tellement bien d’échouer qu’à chaque fois je me retournais et je me disais que j’avais appris énormément de choses et commis plein d’erreurs que je ne referai plus. Echouez, échouez, échouez, et réussissez. »
L’association a reçu le soutien du secrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi. « Et si demain princesse Peach allait sauver princesse Samira ? Il faut plus de diversité et de représentativité dans les jeux vidéo », a encouragé celui qui est lui-même un joueur, et un ancien du forum JeuxVideo.com.