Il faut beaucoup de patience pour voter en République démocratique du Congo (RDC). Surtout quand personne ne peut dire avec certitude que les élections, annoncées et reportées de nombreuses fois depuis plus d’un an, auront bien lieu un jour. Dimanche 5 novembre, les 43 millions d’électeurs enregistrés dans ce grand pays d’Afrique centrale ont pu ressentir tout à la fois un nouvel espoir et une énième déception à l’écoute de la Radio-Télévision nationale. A Kinshasa, la capitale, le président de la Commission nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa, a présenté un calendrier électoral que beaucoup n’attendaient plus : la présidentielle ainsi que les législatives et les provinciales doivent désormais avoir lieu le 23 décembre 2018.

Soit plus de deux ans après la fin du deuxième et dernier mandat du président de la République, Joseph Kabila, officiellement terminé le 19 décembre 2016. Soit, aussi, plus d’un an après la date prévue par l’accord dit du 31 décembre, conclu entre sa majorité parlementaire et l’opposition sous l’égide des évêques congolais fin 2016. Soit, enfin, plus de dix-sept ans après sa première investiture, en 2001, suite à l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila.

Respect du calendrier loin d’être gagné

Le chef de l’Etat, âgé de 46 ans, devait organiser les élections en novembre 2016. Elles n’ont jamais eu lieu, ce qui lui a valu l’opposition croissante des Nations unies, des Etats-Unis et de l’Union européenne, financeurs des élections de 2006 et soutiens de l’actuel processus électoral à travers la Monusco, la plus importante mission de maintien de la paix dans le monde. « Les élections ne sont pas organisées pour les Etats-Unis », a répliqué Corneille Nangaa à propos de la visite à Kinshasa, fin octobre, de Nikki Halley, ambassadrice américaine aux Nations unies. Celle-ci y avait défendu la date de 2018, poussant l’opposition à abandonner officiellement son espoir d’élections en 2017. Reste que la publication du calendrier intervient à la suite d’une forte pression internationale sur le régime Kabila, y compris de la part de l’Union africaine, dont les discours sont pourtant plus conciliants pour le pouvoir congolais. Il y a un an, l’organisation panafricaine avait encadré un premier accord entre le pouvoir et une partie de l’opposition, qui préconisait, déjà, des élections en 2018.

Après avoir laissé patienter diplomates et journalistes pendant plus de trois heures, le président de la CENI a laissé son rapporteur, Jean-Pierre Kalamba, s’empêtrer dans le détail de ses cinq pages de calendrier : l’« enrôlement » – l’inscription des électeurs – prendra fin le 31 janvier 2018 dans les dernières provinces concernées. Jusqu’ici, la CENI prévoyait que les scrutins pourraient au mieux se tenir « 504 jours » après la fin de l’enrôlement, soit en avril 2019, une date régulièrement évoquée par les proches de Joseph Kabila.

L’ensemble du processus électoral comporte, de fait, des défis logistiques et financiers immenses et encore irrésolus : les vingt-six provinces de la RDC demeurent peu connectées et les budgets de l’Etat, gangrenés par la corruption, sont bien maigres. Corneille Nangaa a réclamé des moyens supplémentaires, laissant entendre que le respect du calendrier était loin d’être gagné. Avec trois scrutins à organiser en un seul jour sur 17 000 circonscriptions, le moindre problème technique ou un manque de financement pourraient affecter l’ensemble du processus et décaler de nouveau le vote, ce qui aurait pour conséquence de laisser Joseph Kabila au pouvoir dans l’attente d’un successeur.

Dès sa publication, la majorité présidentielle a salué les dispositions du calendrier, l’opposition les a rejetées. Celle-ci annoncera, ce lundi, une position commune à ses différentes plateformes. Les évêques congolais se réuniront à partir du 22 novembre. Si elles ont lieu, les élections de 2018 rendraient possible la première alternance pacifique de l’histoire congolaise. En attendant ce jour, de nombreux observateurs s’inquiètent des tensions éventuelles du mois de décembre, ultime date butoir pour ceux qui veulent manifester malgré la répression, comme en décembre 2016. D’autant que, en plus de la contestation des grandes villes, des groupes armés demeurent actifs dans l’est ainsi que, depuis peu, dans le centre du pays.

« On continue de profiter du pouvoir »

L’annonce officielle de ce calendrier devrait permettre au régime de Kinshasa de souffler un peu, le soutien financier du Fonds monétaire international (FMI) et de nombreux investissements étant conditionnés à l’organisation des élections.

Mais les contours de la nouvelle période d’attente qui s’ouvre en RDC demeurent profondément incertains, y compris pour le régime lui-même, dont de nombreux dignitaires ont été ciblés par des sanctions économiques américaines et européennes. La question du « dauphin » de Joseph Kabila, auquel la Constitution interdit de se représenter, n’est pas tranchée.

Et, en l’absence de Moïse Katumbi, en exil, et de Jean-Pierre Bemba, en prison au Pays-Bas après sa condamnation par la Cour pénale internationale, la question des candidats de l’opposition n’est pas résolue non plus, même si, après la mort d’Etienne Tshisekedi, en février, son fils Félix apparaît comme le principal opposant encore présent dans le pays.

Les uns seront-ils prêts à quitter les avantages du pouvoir et les autres en mesure de le conquérir ? Une source gouvernementale explique : « Le problème pour tous ceux qui travaillent de près ou de loin avec le régime, c’est que, si les élections sont organisées, tout le monde devra partir avec Kabila. On ne sait même si on sera encore là en janvier. Alors on continue de profiter du pouvoir, on reste prudents et on attend avec lui. »