L’e-sport olympique, dans le domaine du virtuel
L’e-sport olympique, dans le domaine du virtuel
Par William Audureau, Adrien Pécout
Si le CIO a fait un premier pas vers les sports électroniques, les obstacles à franchir pour intégrer la liste des disciplines olympiques restent nombreux.
Les temps changent. Après le croquet, la pelote basque et le tir à la corde, à quand les jeux vidéo au programme des Jeux olympiques ? Tout cela relève encore de l’hypothèse, mais la question se pose. Samedi 28 octobre, à l’occasion d’un sommet à Lausanne, le Comité international olympique (CIO) a fait un pas vers les adeptes du clavier et de la manette.
Désignés sous l’anglicisme d’e-sport, les sports électroniques de compétition « pourraient être considérés comme une activité sportive, a déclaré l’institution. Les joueurs qui les pratiquent se préparent et s’entraînent avec une intensité comparable à celle des athlètes d’autres sports plus traditionnels ». Cette prise de position fait suite à une première déclaration de Tony Estanguet, en août : « On doit se pencher dessus parce qu’on ne peut pas l’ignorer », déclarait alors le codirecteur de la candidature parisienne pour les JO 2024.
Ce soudain intérêt pour la chose vidéoludique peut se comprendre. Il traduit le besoin du CIO de parler à la jeunesse, public sur lequel les Jeux semblent exercer de moins en moins d’attrait. L’historien Patrick Clastres souligne « un décrochage des publics de moins de 30 ans, les “digital natives″, ceux qui sont nés avec Internet ». De surcroît, le contenu des Jeux olympiques a évolué « très lentement » depuis la fin du XIXe siècle, estime ce spécialiste de l’olympisme.
Dans l’immédiat, la tendance affecte déjà les chaînes de télévision. Et donc potentiellement, à l’avenir, les futures recettes du CIO. Aux Etats-Unis, le Wall Street Journal citait un pourcentage alarmiste à l’issue des Jeux 2016 de Rio : tout en faisant valoir les résultats de ses retransmissions sur Internet, la chaîne NBC a enregistré une baisse d’environ 30 % de téléspectateurs en soirée chez les 18-34 ans, par rapport aux Jeux 2012 de Londres.
Les sports électroniques présents aux Jeux asiatiques de 2022
Vendredi 3 novembre, allant dans le sens d’un rapprochement, la société Intel a annoncé la tenue d’une compétition de e-sport « en guise de prélude » aux Jeux olympiques d’hiver 2018 de PyeongChang (Corée du Sud). A l’échelle régionale, le Conseil olympique d’Asie est déjà allé encore plus loin : en avril, l’instance régionale annonçait qu’elle intégrera les sports électroniques comme discipline « médaillable » aux Jeux asiatiques de 2022, en Chine.
De là à envisager pareil scénario pour les Jeux olympiques 2024 à Paris ? Le CIO a posé deux prérequis à une éventuelle reconnaissance, et donc à leur possible candidature au programme olympique. D’abord, l’adhésion aux « valeurs olympiques ». Puis, surtout, « l’existence d’une organisation garantissant la conformité aux règles et réglementations du mouvement olympique (antidopage, paris, manipulation, etc.) ».
En France, Denis Masseglia se montre « prudent ». « Rien n’est à exclure, tout est à discuter », estime le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui admet la possibilité de reconnaître un jour une fédération française de sport électronique avec l’agrément du ministère de tutelle. A propos des Jeux olympiques d’été, le dirigeant rappelle cependant un élément important : l’événement a atteint le plafond de 28 disciplines et d’autres ont déjà manifesté leur volonté d’entrer au programme comme sports additionnels, c’est-à-dire ponctuels : squash, ski nautique, billard ou sports de boules.
Pour le monde du jeu vidéo, l’entrée de l’e-sport dans le cénacle olympique marquerait un signe fort. Elle « offrirait une reconnaissance sociale et une légitimité institutionnelle supplémentaire à l’e-sport et aux e-sportifs », résume Nicolas Besombes, docteur en sciences du sport et membre de l’association France eSports.
Concurrence entre éditeurs de jeux
Surtout, une reconnaissance olympique ferait les affaires des éditeurs de jeux vidéo. « Ce serait une manne financière non négligeable pour cette industrie, car le CIO reverse une partie de ses bénéfices aux fédérations qui y ont pris part », rappelle le chercheur. « On ne fait pas de l’e-sport pour faire joli, mais pour améliorer le bénéfice opérationnel et transformer les joueurs en relais de communication », reconnaît le responsable jeu vidéo de l’entreprise française Big Ben, Benoît Clerc. Ce dernier évoque aussi la perspective « d’optimiser les ventes sur la durée », alors qu’historiquement, l’essentiel de la carrière commerciale d’un jeu tient à ses trois premières semaines en boutique.
Ces derniers temps, dans l’industrie du jeu vidéo, la prudence prédomine toutefois. Car l’impératif olympique de constituer une fédération internationale place l’e-sport face à ses responsabilités… et ses contradictions. « Il aura beau y avoir des rassemblements et des tentatives pour fédérer les acteurs, le cœur du problème réside dans les intérêts commerciaux, l’hyper concurrence du secteur et la fameuse propriété intellectuelle, synthétise Jean-Baptiste Saelens, rédacteur en chef adjoint du Canal eSport Club, sur Canal +. Quelle discipline ? Quel jeu ? Quel support ? Quel matériel ? Sous quels critères ? L’équation est tellement complexe et les intérêts tellement divergents, qu’elle devient politique. »
« Il y a des enjeux qui ne sont pas compatibles avec les valeurs nécessaires à la création d’un sport et d’une fédération »
Alban Dechelotte, responsable marketing chez Coca-Cola
La seule question du choix des jeux à intégrer à d’hypothétiques compétitions olympiques laisse entrevoir les conflits d’intérêts entre leurs différents éditeurs. « Dans un monde idéal, il existerait des jeux libres de droit qui permettraient d’éviter ces questions », sourit Rémy Chanson, auteur du Guide de l’eSport et président d’une équipe parisienne, Armateam.
« Boeing et Airbus ont du mal à travailler ensemble, surtout pour créer un aéroport », ironise Alban Dechelotte, responsable marketing chez Coca-Cola, marque partenaire aussi bien d’événements sportifs que e-sportifs. « Comment faire travailler ensemble des éditeurs dont le métier est de vendre leur jeu plutôt que celui des concurrents ? Il y a des enjeux qui ne sont pas compatibles avec les valeurs nécessaires à la création d’un sport et d’une fédération. » De quoi décontenancer une industrie du jeu vidéo jusqu’alors peu habituée aux marques d’intérêt du Comité international olympique.