« A Beautiful Day » : des enfances monstrueusement saccagées
« A Beautiful Day » : des enfances monstrueusement saccagées
Par Jacques Mandelbaum
Distingué par deux prix à Cannes, le thriller de Lynne Ramsay privilégie une mise en scène graphique au détriment de l’intrigue.
Sortant de la dernière compétition cannoise, le quatrième long-métrage de Lynne Ramsay est porté par une promotion qui joue sur une comparaison flatteuse avec Taxi Driver. Prenons le risque de la familiarité en disant qu’il ne faut peut-être pas pousser mémé dans les orties. Si l’épopée vengeresse d’un ancien marine sauvant une adolescente d’un cloaque pédophile où barbotent des politiciens en vue peut, et encore, faire penser au film de Martin Scorsese, et quand bien même elle serait pensée pour favoriser cette réminiscence, comparaison n’est pas raison.
Joaquin Phoenix, en dépit de son immense talent, n’a pas le registre tranchant d’un De Niro jeune, l’Ecossaise Lynne Ramsay ne saurait être confondue avec le maître italo-américain de la passion catholique, enfin, l’absence d’ambivalence morale et de clivage schizophrénique du personnage principal rend approximatif le rapprochement.
Joe, tueur à gages incarné par un Phoenix empâté et hirsute, est ici une sorte de golem, de force brute mandatée pour exécuter une mission dont il s’acquitte de manière impavide, un marteau à la main.Peu caractérisé, ce Joe se dessine sur fond d’éclairs rétroactifs traumatisants (sa propre enfance, des scènes de guerre) et de séjour stuporeux chez sa vieille mère, progresse dans un décor dépourvu de vie, selon un argument qui, fors l’abjection qu’il charrie et nonobstant l’actualité qui vient à sa rencontre, tient du pur prétexte.
Le corps et l’action
Il est entendu que ce défaut délibéré d’intrigue comme de caractérisation des personnages est compensé par une mise en scène très graphique, destinée à mettre en valeur la performance de Joaquin Phoenix, ce qu’ont bien compris les jurés cannois en attribuant en mai le Prix d’interprétation masculine à l’acteur (et celui du scénario, plus étrangement, au film).
Cette concentration intense de la mise en scène sur le corps et l’action du personnage principal fait, pour certains amateurs de cinéma de genre, tout le prix du film. Il est d’ailleurs des œuvres magnifiques qui résultent de ce parti pris (Under the Skin, de Jonathan Glazer, sur le versant fantastique).
Pour d’autres, parmi lesquels craint de se situer le signataire de ces lignes, qui aiment à ce que le genre s’accommode d’une idée un tant soit peu élaborée du monde et des personnages qui s’y déterminent, cette focalisation stylisée s’exerce à trop bon prix, et aux dépens de tout le reste. Familière de la compétition cannoise, Lynne Ramsay y est, en tout cas, fidèle à un motif qui visiblement la hante depuis Ratcatcher en 1999, celui de l’enfance monstrueusement saccagée, en quoi se reconnaissent ici et la victime et son sauveur.
A BEAUTIFUL DAY - Bande-annonce VOST
Durée : 01:56
Film franco-anglais de Lynne Ramsay. Avec Joaquin Phoenix, Ekaterina Samsonov, Alessandro Nivola (1 h 25). Sur le Web : www.facebook.com/sndfilms