Ecoles d’ingénieurs : les cursus s’adaptent aux secteurs sous pression
Ecoles d’ingénieurs : les cursus s’adaptent aux secteurs sous pression
Par Sophie Blitman, Aurélie Djavadi, Isabelle Dautresme, Françoise Marmouyet
La loi de la transition énergétique pour la croissance verte touche de nombreux secteurs. Dans le bâtiment, l’agroalimentaire ou les technologies de l’information, les besoins en ingénieurs « écoformés » se font pressants.
Le réchauffement climatique et le développement durable engagent principalement sept grands secteurs économiques « consommateurs » d’ingénierie, aux premiers rangs desquels on trouve l’énergie et l’automobile. Le bâtiment n’est pas épargné, qui consomme 44 % de l’énergie totale utilisée dans l’Hexagone. Suivent l’eau et l’agroalimentaire ainsi que le traitement des déchets, industriels ou domestiques.
Enfin, le « nouveau monde » du numérique est aussi en pointe en matière de pollution. Les data centers des géants du numérique, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), sont les plus gros consommateurs d’électricité de la planète. Tour d’horizon des domaines sensibles.
Energie : des programmes renouvelés
« L’aspect environnemental est sous-jacent à l’ensemble de nos formations, celles qui ont trait aux énergies renouvelables, évidemment, mais aussi celles concernant les énergies polluantes, comme les énergies fossiles, dont on anticipe par ailleurs la raréfaction », explique Hervé Combeau, responsable du département Procédés, énergie, environnement à l’Ecole des mines de Nancy. Dans son département, en 2e année, quasiment tous les étudiants travaillent sur un projet en lien avec l’environnement – par exemple l’installation de turbines hydrauliques au Sénégal.
Comme d’autres écoles, notamment Mines ParisTech, en pointe sur les énergies décarbonées, l’école s’appuie sur un champ de recherches de haut niveau, notamment dans le secteur des biomasses – photovoltaïque ou stockage de l’hydrogène par exemple. Ces écoles ont élargi leur offre d’enseignement selon deux axes : les énergies anciennes – fossiles, nucléaire – et les renouvelables.
Côté énergies traditionnelles, l’enseignement dans le domaine du nucléaire s’adapte ainsi à la loi de 2015 sur la transition énergétique, qui ambitionne d’ici à 2025 de réduire à 50 % la part de l’atome dans la production d’énergie. « Ce sont entre autres des experts en démantèlement que le secteur recherche et que nous formons », précise Pascal Anzieu, directeur des programmes à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), membre du Réseau des écoles du développement durable. En 2018, les élèves ingénieurs pourront évoluer dans un réacteur atomique en réalité virtuelle.
Quant aux énergies renouvelables, nombre d’établissements, y compris ceux déjà cités, forment enfin des ingénieurs spécialisés. Ainsi de l’Ecole nationale supérieure de l’énergie, l’eau et l’environnement (ENSE3), à Grenoble, qui présente historiquement une forte expertise dans le secteur hydraulique, proposant par exemple, parmi ses huit filières métiers, un parcours hydraulique en prise avec les problématiques environnementales.
Sup’EnR, créée en 2016 à Perpignan, a pour ambition affichée de former des ingénieurs en énergies renouvelables polyvalents, capables de travailler sur des ressources variées. « En plus des cours purement techniques, nous accordons une large place à l’aménagement du territoire, au droit ou au marché de l’énergie », souligne Régis Olivès, son directeur. Une place de choix est accordée au solaire : l’école est en effet adossée au Laboratoire Promes (Procédés, matériaux et énergie solaire), une unité du CNRS, qui gère un four et une centrale solaires.
Automobile : des constructeurs sur les starting-blocks
Plus d’un milliard de véhicules à moteur à explosion roulent dans le monde, alimentés par des carburants d’origine pétrolière (gazole, essence). Mais l’Agence internationale de l’énergie (AIE) table sur la mise en circulation de quelque 200 millions de véhicules électriques d’ici à 2030. Tous les grands constructeurs s’y mettent. Et même James Dyson, l’inventeur britannique de l’aspirateur sans sac, veut en lancer une d’ici à 2020.
Il devrait y investir 2,2 milliards d’euros, et recruter des dizaines d’ingénieurs pour cela. Le secteur automobile reste porteur pour les aspirants ingénieurs, secteur qui connaît une révolution technologique, de la voiture propre à la voiture autonome. « C’est une industrie de pointe où toutes les nouvelles technologies vont converger », a affirmé Jacques Graizon, président de la Société des ingénieurs de l’automobile, lors du symposium MonJob@FuturAuto qui s’est tenu le 19 octobre à Paris. Reste, reconnaît-il, à « en convaincre les jeunes… »
Bâtiment : vers l’habitat durable
Le secteur qui consomme le plus d’énergie en France ? La construction ! Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), il représente 44 % de l’énergie totale utilisée dans l’Hexagone. Alors que le pays s’est engagé à diviser par quatre d’ici à 2050 ses émissions de gaz à effet de serre, la réalisation de bâtiments à « énergie positive » est devenue une priorité. A partir de 2020, tous les logements neufs devront être conçus pour produire plus d’électricité qu’ils n’en consomment. D’où un besoin croissant d’ingénieurs croisant compétences en génie civil et développement durable.
Pour y répondre, l’Ecole nationale supérieure des travaux publics (ENSTP) et l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers (Ensam) ont créé dès 2008 un mastère spécialisé en construction et habitat durable, dispensé à Aix-en-Provence et à Paris. Le suivent chaque année une trentaine d’ingénieurs, tout juste diplômés ou en formation continue. « Outre la performance énergétique du bâtiment une fois réalisée, l’un des enjeux majeurs porte sur la phase de chantier elle-même, pour réduire au maximum ses impacts sur l’environnement », souligne Bénédicte Humblot, responsable du cursus.
Comment diffuser le moins d’effluves nocifs possible dans l’air au fil des travaux ? Comment inventorier et choisir des matériaux « biosourcés » ? Voilà des exemples de sujets abordés lors de ce bac + 6 résolument pluridisciplinaire. « On évoque aussi bien la réglementation que la biodiversité, en passant par l’usage de logiciels spécifiques, poursuit Bénédicte Humblot. Cette approche globale permet d’accueillir aussi quelques profils venant d’écoles de management ou de Sciences Po et qui se préparent à travailler sur des questions plus commerciales dans le secteur. » De quoi enrichir le dialogue au sein des promotions.
Diplômé en 2014 de l’Ecole supérieure du bois de Nantes, Gaëtan Mahé s’est inscrit dans la foulée à ce mastère et apprécie d’y avoir acquis une bonne culture générale sur l’aménagement du territoire : « Cela m’a donné des repères essentiels et permis d’accéder à un poste enbureau d’études thermiques que je n’aurais pas pu avoir aussi vite autrement. » En tant que chef de projet en « performance énergétique et environnementale », il a une double casquette d’ingénieur et de responsable des labélisations. Il se félicite de ce « travail très stimulant intellectuellement. Quand on construit des logements, il ne faut jamais perdre de vue l’humain et arriver à concilier confort et respect de l’environnement ».
Agroalimentaire : des débouchés variés
« Produire en quantité mais en préservant la qualité et la sécurité alimentaires, sans dégrader l’environnement et de manière à assurer un revenu décent aux agriculteurs » : c’est ainsi qu’Alexander Wezel, directeur du département Agroécologie et environnement de l’Institut supérieur d’agriculture et d’agroalimentaire Rhône-Alpes (Isara-Lyon), résume les défis auxquels est aujourd’hui confronté le secteur agroalimentaire. L’agroécologie, au croisement entre l’agronomie, l’écologie et les sciences humaines, donne des pistes pour les relever.
Cette discipline, qui a le vent en poupe dans les écoles d’agronomie, propose une approche transversale pour former des ingénieurs « de la fourche à la fourchette ». Ainsi, les étudiants du cursus ingénieurs de l’Isara qui optent pour cette spécialité, comme ceux des deux « masters of science » (MSc) de l’établissement, apprennent notamment comment favoriser une fertilisation optimale et respectueuse de l’environnement ou comment réduire un maximum, voire remplacer les pesticides et engrais chimiques.
Avec son M2 « de l’agronomie à l’agroécologie », proposé en partenariat avec l’université ParisSaclay, AgroParisTech dispense également un enseignement pluridisciplinaire et s’intéresse en particulier « à la manière dont la production s’insère dans le territoire », détaille Alexandra Jullien, responsable du diplôme. Au menu, la régulation biologique des « agroécosystèmes », ainsi que des sciences humaines et sociales « afin de prendre en compte l’acteur dans la production agricole ».
Les débouchés sont variés : si certains diplômés se tournent vers la recherche publique, d’autres rejoignent des organismes professionnels agricoles – chambres d’agriculture, coopératives… Ils sont également recrutés par les instituts techniques agricoles, qui établissent des normes de qualité pour les différentes filières, ou encore par des entreprises de l’agroalimentaire pour travailler sur la sécurité alimentaire.
Eau : « une forte demande d’études »
« La loi sur l’eau et le milieu aquatique [qui vise notamment à lutter contre les pollutions et à garantir le bon état des eaux] de 2006 a généré une forte demande d’études sur ces questions, notamment de la part des collectivités territoriales », assure François Colin, professeur d’hydrologie à SupAgro Montpellier. Pour répondre à cette demande, lui et trois de ses collègues ont créé, dès 2007, l’option « gestion de l’eau, des milieux cultivés et de l’environnement ». Chaque année, ils sont une quinzaine d’étudiants de troisième année de cycle ingénieur à choisir de se spécialiser sur ces questions.
Au programme : de la physique et de la chimie de l’environnement, de la géologie mais également des cours de cartographie et de méthode. « C’est la partie que j’ai préférée, témoigne Anaïs Bureau, diplômée en 2016. J’y ai appris à savoir où et comment chercher l’information, les sites de référence. Bien maîtriser les logiciels permet de s’adapter à toute situation professionnelle. »
Les étudiants travaillent aussi souvent que possible sur des problématiques réelles, commanditées par des entreprises, des collectivités ou des coopératives agricoles… « Le fait de travailler pour un professionnel donne du sens à ce que l’on fait. C’est très motivant », certifie la jeune diplômée.
Preuve que cette spécialisation répond aux attentes du marché, 75 % des étudiants décrochent leur premier emploi avant même la fin de leur stage de fin d’études et plus de 90 % dans les six mois. Plus de la moitié rejoignent un bureau d’études, 15 % des structures de gestion territoriale, 15 % des entreprises concernées par des questions environnementales et qui évoluent dans l’agroalimentaire ou encore les hydrocarbures… Pas plus de 10 % poursuivent en thèse. « Nous sommes très fiers de ces chiffres », reconnaît François Colin.
Nouvelles technologies : « une approche globale d’écoconception »
Développement de la 4G, création de smartphones toujours plus performants, prolifération de data centers à la puissance de calcul sans cesse démultipliée… Si les raisons de se réjouir de ces progrès sont nombreuses, on oublie souvent leur impact sur notre environnement : la dépense d’énergie est en effet colossale, à tel point que les technologies de l’information (IT) polluent aujourd’hui autant que les avions. Or, « on peut faire de l’informatique qui ne consomme pas les ressources naturelles de manière excessive », affirme Christophe Rouvrais, directeur de l’Esaip.
Voilà dix ans que l’école d’ingénieurs d’Angers a intégré le « green IT » dans sa formation qui propose deux spécialités : « prévention des risques » et « numérique, informatique et réseaux ». Concrètement, il s’agit d’apprendre à optimiser les logiciels pour mettre au point des solutions moins énergivores. Par ailleurs, des technologies vieillissantes mais toujours fiables dans un domaine peuvent parfois être utilisées dans un autre. « C’est ce qu’on appelle le recyclage d’usage », explique Christophe Rouvrais.
Former des ingénieurs responsables se traduit aussi par une incitation à utiliser des matériaux issus de circuits courts et plus simples à recycler : « Nous voulons que nos élèves aient le réflexe de penser que le matériel aura une deuxième, troisième, voire une quatrième vie », indique Christophe Rouvrais. Ils apprennent également à prendre en compte l’impact carbone dans la fabrication d’un produit ou l’implantation d’une plate-forme logistique. « Depuis quatre ans, nous avons mis en place une approche globale d’écoconception », rapporte le directeur, satisfait de voir que, désormais, « de plus en plus d’entreprises ont compris qu’il était possible de créer des richesses en limitant nos impacts ».
Déchets : systématiser le recyclage
Produire des biens et des services tout en limitant la consommation et le gaspillage des matières premières, de l’eau et des sources d’énergie, tel est l’enjeu du traitement et du recyclage des déchets, industriels ou ménagers.
« L’objectif est d’aboutir à une prise en compte systématique de la fin de vie du produit dès sa conception, dit-on au ministère de la transition écologique et solidaire. Appliquer les principes de l’écoconception, envisager l’impact environnemental du produit tout au long de son cycle de vie et systématiser son recyclage en fin de vie. » Dans un contexte de raréfaction et de fluctuation du coût des matières premières, l’objectif est de recycler 60 % des déchets en 2025.
La France produit près de 14 tonnes de déchets par an et par habitant, si l’on additionne les déchets ménagers et les déchets professionnels. Le secteur de la gestion des déchets représente plus de 135 000 emplois. Des investissements importants sont à venir pour développer le recyclage : construction de nouveaux centres de tri, adaptation des procédés industriels, tri sélectif, recyclage des plastiques…
Plusieurs écoles ou universités proposent des cursus consacrés à l’environnement et au traitement des déchets (BTS métiers des services à l’environnement, DUT génie de l’environnement, licences pro et masters, diplômes d’ingénieurs en génie des procédés et génie éco-industriel, mastères spécialisés en valorisation des déchets ménagers, industriels, dangereux…). L’Ecole des métiers de l’environnement de Rennes propose une formation d’ingénieur généraliste en génie industriel de l’environnement.
Participez au Salon des grandes écoles « Le Monde », samedi 11 et dimanche 12 novembre
Ecoles d’ingénieurs et de commerce, avec ou sans prépa, Sciences Po et les IEP, grandes écoles spécialisées et filières universitaires comme les IAE… Cent quatre-vingt-cinq établissements d’enseignement supérieur seront présents au Salon des grandes écoles du Monde, samedi 11 et dimanche 12 novembre, aux Docks (Paris 13e). Les lycéens de première, de terminale, les élèves de classes préparatoires, les étudiants bac + 2 et bac + 3 pourront y rencontrer des responsables de formations et des élèves des différents établissements.
Une vingtaine de conférences animées par des journalistes du Monde, ainsi que des séances de coaching sont également au programme. Ainsi, un chatbot surnommé « Arsene » facilitera cette année les inscriptions et permettra de poser des questions pendant l’événement.
Entrée libre, informations et préinscription (recommandée) sur www.salon-grandes-ecoles.com