Au centre, le président ougandais Yoweri Museveni avec un représentant du président tanzanien John Magufuli et Irene Muloni, ministre ougandaise de l’énergie, le 11 novembre 2017. / Gaël Grilhot

C’est au milieu de nulle part, un peu à l’extérieur du petit village de Kabaale, dans la région de Hoima, au centre de l’Ouganda, qu’a été organisée la cérémonie. Samedi 11 novembre a été posée la première pierre du pipeline qui devra transporter le pétrole brut ougandais jusqu’au port tanzanien de Tanga à partir de la fin 2020.

Dans quelques années devraient cohabiter ici, au pied de ces collines arborées, un aéroport international, une raffinerie destinée au marché intérieur et, surtout, le point de départ de l’oléoduc devant transporter les 200 000 barils de brut extraits quotidiennement du lac Albert vers les rives de l’océan Indien. Un projet de 3,5 milliards de dollars, financé par le consortium d’exploitants Total, CNOOC et Tullow Oil.

Le président Museveni, entouré de ses ministres et de nombreux officiels ougandais et tanzaniens, ainsi que de représentants de plusieurs compagnies pétrolières ont foulé le tapis rouge qui menait à la plaque scellant l’accord entre les deux pays. La finalisation du pipeline et les débuts de la production sont prévus pour 2020. Une date qui tombe à pic, la présidentielle ayant lieu un an plus tard en Ouganda. Or le président Museveni a promis de faire passer le pays au rang d’économie « à revenus intermédiaires » à cette échéance, et l’exploitation du pétrole devrait être la clef de voûte de cette ambition.

Mais cette échéance très politique pourra-t-elle être tenue ? Les défis techniques et logistiques posés par la construction de 1 400 km de pipeline « à chaudière » pourraient venir doucher les espoirs du président Museveni. Dans certaines zones d’exploration, le pétrole du lac Albert contient près de 25 % de paraffine. Afin d’empêcher la solidification du brut, l’oléoduc doit donc être chauffé pour maintenir une température minimum à l’arrêt de 50 °C et, au plus fort de la production, à plus de 420 °C afin que la matière reste liquide jusqu’à son arrivée au port de Tanga une dizaine de jours plus tard. Cette spécificité ainsi que le « traçage électrique » permettant la mise en chauffe sont des techniques maîtrisées mais la longueur du « tube » est inédite, faisant du pipeline Hoima-Tanga le plus long de sa catégorie.

Echéance « trop ambitieuse »

« C’est un pipeline très sophistiqué, qui nécessite des stations électriques et d’autres infrastructures secondaires tout au long du tuyau, explique Chris Musiime, directeur de programme pour l’Africa Center for Energy and Mineral Policy. Or la distance est vraiment longue, et je ne pense pas qu’ils vont pouvoir le construire dans un temps aussi court. » D’autant que, selon le consultant, un problème de taille demeure : « Il faut notamment permettre l’accès au chantier pour le matériel. » Or, selon lui, toutes les routes ougandaises ou tanzaniennes prévues à cet effet n’ont pas encore été construites ou ne sont pas suffisamment solides. Ce que dément une source proche du dossier : « Certaines parties sont des routes en latérite, non asphaltées, qui devront être améliorées. Mais les routes existent déjà et ne nécessitent pas d’acquisition de terres. Les partenaires du projet de pipeline s’occupent des accès entre les routes existantes et les chantiers de construction et cela est déjà intégré dans le planning. »

Interrogé sur ce sujet, Allan Ssempebwa, le responsable des relations avec les médias de l’Autorité nationale ougandaise des routes (UNRA) rejoint plutôt l’avis de Chris Musiime. « Quelques routes existent déjà, précise-t-il, mais nous avons des projets en cours d’élaboration, pour les besoins du pipeline. Nous avons d’autres routes à construire. » Selon lui, les études de faisabilité et les expertises sociales et environnementales ont été réalisées, reste le processus d’acquisition des terres, qui en Ouganda, peut être assez long, avant de débuter les travaux. « Nous avons néanmoins une deadline, qui est d’être prêts pour 2020 », ajoute-t-il.

Près du village de Kabaale, dans la région de Hoima, au centre de l’Ouganda, où le pipeline ougando-tanzanien doit commencer sa construction. Cérémonie de pose de la première pierre le 1 novembre 2017.

Initialement prévu pour passer au nord du Kenya et rejoindre le port Kenyan de Mombassa, le trajet a été modifié en 2016 pour choisir la voie tanzanienne, officiellement pour des questions de sécurité et de coût. Un changement qui, selon Chris Musiime, a déjà fortement compromis l’échéance de 2020, devenue désormais pour lui « trop ambitieuse ». Selon le consultant, 2022 semble « plus réaliste » pour espérer voir la fin du pipeline Hoima-Tanga. Soit un an après la prochaine présidentielle ougandaise.