Dans « Battlefront II », les joueurs peuvent incarner divers héros de la saga « Star Wars »… à condition d’y passer du temps ou de dépenser de l’argent. / Electronic Arts

Nul ne sait si le jeu de tir Star Wars : Battlefront II, disponible à partir de vendredi 17 novembre sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, battra des records de vente. Ce qui est, en revanche, certain, c’est qu’il a d’ores et déjà battu un record de protestations de joueurs. Lundi 13 novembre, un message d’un community manager de son éditeur, Electronic Arts, est devenu le post le plus impopulaire de l’histoire de Reddit. Sur ce gigantesque forum américain, les utilisateurs peuvent, en effet, distribuer les bons et les mauvais points, les upvotes et les downvotes.

L’explication d’Electronic Arts a été tellement « downvotée » qu’elle affichait, mardi à 15 heures, un score de 650 000 votes négatifs. Un record absolu (le précédent était de 20 000), probablement faussé par le recours massif à des bots, mais qui en dit long sur les réactions épidermiques provoquées par le modèle économique du nouveau jeu de l’éditeur.

La raison de l’ire des redditors : les joueurs ayant réservé le jeu et ayant accès en avant-première à son mode multijoueur se sont aperçus que le « prix » à payer pour pouvoir incarner certains des personnages les plus emblématiques de la série avait quadruplé depuis les dernières communications officielles à ce sujet, au début du mois d’octobre.

Star Wars Battlefront 2: Official Gameplay Trailer
Durée : 02:01

Electronic Arts a tenté de justifier cette décision par « la volonté de proposer aux joueurs de la fierté et le sens de l’accomplissement quand ils arriveront à débloquer ces héros », expliquant que l’éditeur avait réévalué les coûts de ces personnages en fonction des retours récoltés lors de cette avant-première. Les joueurs devraient donc accumuler une monnaie virtuelle pendant quarante heures environ pour accéder à un personnage à 60 000 crédits, comme Luke Skywalker ou Dark Vador. En octobre, lorsque les joueurs avaient pu s’essayer une première fois à une version non définitive du jeu, les mêmes personnages ne coûtaient que 15 000 crédits.

Pour les joueurs pressés (et aisés), une alternative existe néanmoins : acheter – contre de l’argent véritable cette fois – des coffres au contenu aléatoire, pouvant contenir en quantité plus ou moins importante des crédits. Une solution extrêmement coûteuse, qui vient s’ajouter au prix du jeu (60 euros dans sa version la plus basique) : selon le site Gamespot qui a tenté l’expérience, 100 dollars de coffres permettraient d’amasser seulement la moitié des crédits nécessaires pour incarner Dark Vador.

La pilule passait d’autant moins bien auprès des joueurs de Battlefront II que, dans la version du jeu envoyée à la presse, les personnages spéciaux coûtent initialement moins cher : Luke Skywalker, par exemple, est accessible dès 10 000 crédits au lieu de 60 000.

Certains commentateurs accusent Electronic Arts d’avoir ainsi tenter de dissimuler jusqu’au dernier moment à la presse (et donc au public) le coût réel de ces personnages.

Menaces de mort et 1 600 attaques personnelles

La réaction des joueurs ne s’est pas fait attendre. Outre les centaines de milliers de votes négatifs sur Reddit, plusieurs joueurs ont lancé un appel au boycott, exhortant les acheteurs à appeler le service client d’Electronic Arts pour se faire rembourser. Sur Reddit, BatofSpace notait d’ailleurs que l’éditeur a fait retirer la possibilité de se faire rembourser par formulaire, obligeant les joueurs à contacter le service après-vente.

D’autres tournent l’affaire en dérision, multipliant les détournements, ou en faisant d’une photo des locaux d’Electronic Arts le message le plus populaire de la section de Reddit consacrée aux « bâtiments maléfiques ».

Mais l’affaire ne s’est pas bornée à des protestations plus ou moins humoristiques. Un employé d’Electronic Arts, qui avait publiquement soutenu sur Twitter le modèle économique du jeu (avant de finalement passer son profil en « privé »), expliquait lundi avoir reçu « sept menaces de mort et plus de 1 600 attaques personnelles (…) à cause d’une simple fonctionnalité impopulaire ».

BiggSean66

« J’en suis à sept menaces de mort et 1 600 attaques individuelles pour le moment. Et pourquoi, vous demandez-vous ? A cause d’une fonctionnalité impopulaire dans un jeu. »

Au point que des personnalités de l’industrie du jeu vidéo ont décidé de soutenir publiquement l’équipe de développement. A l’image du journaliste Jason Schreier, qui précise toutefois qu’il ne cautionnait pas un tel modèle économique.

« Imaginez : vous passez des mois à travailler plus de cent heures par semaine sur un jeu vidéo. Votre éditeur, avide de milliards, y ajoute un système de microtransactions sans pitié. Vous êtes épuisé, exténué, mais ça ne vous empêche pas d’attendre la date de sortie avec impatience. Et puis, le jour J, la seule chose dont parlent les fans, ce sont des coffres aléatoires. »

Sur Reddit, un message ayant reçu plus de 200 000 votes positifs a fini par appeler les joueurs au calme : « Même si le système des coffres aléatoires est horrible, n’envoyez pas de menaces de mort aux développeurs. »

Electronic Arts fait marche arrière

Electronic Arts a finalement décidé de faire machine arrière, le 13 novembre. Dans un communiqué paru sur la version américaine du site du jeu, l’éditeur explique ainsi s’être « servi des données de la version bêta [d’octobre] pour fixer ces prix » mais que « d’autres changements étaient clairement nécessaires. Nous réduisons donc le nombre de crédits nécessaires pour débloquer ces héros de 75 % », rétablissant ainsi… les prix d’origine.

Le mea culpa n’aura cependant pas suffi à apaiser tous les joueurs, certains notant que la récompense offerte à la fin de la campagne solo du jeu avait, elle aussi, été divisée par quatre dans l’opération.

« Reddit : Je suis en colère/Electronic Arts : Voici une solution/Reddit : Je ne veux pas de solution. Je veux être en colère. »

Le principe des coffres aléatoires à acheter n’est pas nouveau et est même en passe de devenir la norme dans les jeux vidéo à gros budget. Pour les éditeurs, ils constituent un moyen de ralentir artificiellement la progression du joueur tout en l’encourageant à dépenser, régulièrement, de petites sommes d’argent pour avoir accès à de nouveaux contenus.

Une solution impopulaire à un problème bien réel : celui du coût de production des jeux, toujours plus élevé, tandis que leur prix de vente, lui, stagne depuis des années, voire des décennies.