Le Cameroun anglophone gagné par l’escalade de la violence
Le Cameroun anglophone gagné par l’escalade de la violence
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
Assassinats, incendies, bombes : confrontés aux exactions des sécessionnistes et à la répression des autorités, de nombreux habitants fuient au Nigeria.
Dimanche 12 novembre, peu après 20 heures, « un groupe de jeunes hommes » a mis le feu au dortoir des jeunes filles du collège Saint-Pius, situé dans le Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones du Cameroun, avant de s’évaporer dans la forêt environnante. Bilan du forfait : des lits, des livres, des cahiers et les effets personnels des 32 élèves ont été totalement calcinés.
« Heureusement, elles étaient en salle de révision et ont été très vite évacuées. Il n’y a eu aucune victime. Depuis un an, c’est le 34e établissement victime d’incendie criminel dans cette région, déplore Victor Mombakued Yewoh, le délégué des enseignements secondaires pour le Sud-Ouest. Les enseignants et les élèves sont régulièrement bastonnés dans les rues et attaqués à leur domicile par des hommes qui leur ordonnent de ne plus aller à l’école. Ces gens ne vaincront pas. Plus de 60 000 élèves continuent d’aller à l’école. Les forces de l’ordre sont là pour les protéger. »
L’optimisme de cette déclaration contraste avec la réalité sur le terrain. Quelques heures après l’incendie du collège Saint-Pius, quatre bombes artisanales ont explosé, sans faire de victimes, à Bamenda, l’épicentre de la contestation qui secoue depuis un an le Cameroun anglophone. Ces derniers jours, les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, où se concentre environ 20 % de la population du pays, ont connu une escalade de violences.
Un militaire égorgé
D’après Issa Tchiroma Bakary, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, entre le 6 et le 10 novembre trois gendarmes ont été tués par balles dans le Nord-Ouest et un militaire, déployé à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, a été retrouvé « cruellement égorgé par une autre escouade de terroristes ». « Les sécessionnistes viennent de déclarer la guerre à la République », a martelé le ministre en conférence de presse, précisant que les investigations avaient conduit à l’arrestation de « six dangereux suspects ».
Après ces assassinats revendiqués par le mouvement séparatiste Ambazonian Governing Council, un couvre-feu a été instauré dans le département de la Mezam (région du Nord-Ouest) et dans toute la région du Sud-Ouest. Selon le quotidien Le Jour, le gouvernement aurait émis des mandats d’arrêt internationaux contre une dizaine de sécessionnistes.
Pour Richard Moncrieff, directeur Afrique centrale d’International Crisis Group (ICG), cette violence était prévisible. Depuis le mois d’août, les incendies de commerces et d’établissements scolaires se sont intensifiés, les opérations « ville morte » se sont faites plus dures et les discours appelant à la lutte armée plus audibles.
« Les explosions de bombes artisanales en septembre étaient un signe annonciateur de plus, mais surtout un message envoyé aux autorités par une partie des sécessionnistes sur leur capacité à transformer la contestation en insurrection armée. Une insurrection de basse intensité est très probable dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, elle est même déjà en train de prendre corps », constate M. Moncrieff.
Dans un rapport paru le 19 octobre, ICG craignait déjà une « insurrection armée » et demandait à Paul Biya, le président de la République, de « prendre ses responsabilités » et d’« agir vite ». Pour toute réponse, le gouvernement a suspendu les activités d’ICG au Cameroun.
Cette attitude répressive est une constante de la politique engagée par Yaoundé depuis le début de la crise anglophone, en octobre 2016. Lorsque les premières revendications sont apparues pour demander la pleine application du Common Law, ce système judiciaire hérité de la colonisation britannique, et dénoncer la « francophonisation » du système éducatif anglophone, le gouvernement avait arrêté les leaders de la contestation et avait coupé Internet pendant trois mois dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, paralysant l’économie locale.
Plus de 3 000 réfugiés
« Ce sont les pires erreurs de ce gouvernement. Ces leaders, très suivis à l’époque, étaient des modérés. Ils avaient des revendications honnêtes et étaient les seuls liens entre les autorités et le peuple. A trois jours de la rentrée scolaire du 4 septembre, les autorités en ont libéré une partie et laissé en prison d’autres leaders. Ils pensaient alors pousser les parents à envoyer leurs enfants à l’école. Mais tout avait déjà foiré. Cette maltraitance et la gestion catastrophique de la crise ont accouché des sécessionnistes », analyse, sous couvert d’anonymat, un journaliste anglophone.
Le 1er octobre, les séparatistes ont proclamé l’indépendance de « l’Ambazonia ». Ce jour-là, les manifestations, violemment réprimées, ont fait une dizaine de morts d’après le gouvernement, au moins vingt selon les ONG. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ces violences ont poussé plus de 3 000 Camerounais à fuir au Nigeria. De crainte de voir entrer et sortir des séparatistes depuis le territoire voisin, le Cameroun a fermé sa frontière terrestre.
« Les gens continuent d’affluer au Nigeria à cause de la longue frontière poreuse qui échappe habituellement à la vigilance des fonctionnaires de l’immigration et des forces de l’ordre », explique cependant une source au bureau nigérian du HCR, selon qui l’arrivée de réfugiés s’est accélérée après le 1er octobre. « Le nombre estimé de personnes non enregistrées se situe entre 1 000 et 1 500 individus », dit-elle. L’agence onusienne prévoit qu’environ 40 000 anglophones pourraient franchir la frontière avec le Nigeria.
La violence qui s’installe dans l’ouest du pays a aussi ses répercussions dans l’arène politique. Pour exprimer leur « mécontentement sur la gestion de la crise socio-politique qui empire dans les régions anglophones », les députés et sénateurs du Social Democratic Front (SDF), le principal parti d’opposition (dont le fief est Bamenda), ont boycotté l’ouverture de la session parlementaire, mardi 14 novembre. Dans un communiqué, ils s’insurgent contre le gouvernement qui « s’entête à appliquer une solution de force à un problème purement politique » et menacent de boycotter toute la session si jamais les « mesures adéquates » ne sont pas prises.